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mot pour mot. Ils nous représentent l’intendant accumulant les jeûnes, les privations et les austérités, restant des nuits entières « le visage contre terre, » à réciter de burlesques patenôtres sous la dictée de son bourreau, pleurant parfois de lassitude, et ne demandant jamais grâce. Les commères de Lesage, les deux femmes Bosse et Vigoureux, se mettent aussi de la partie, multiplient les rites démoniaques, le tout, ainsi qu’on pense, à beaux deniers comptans. Enfin un prêtre véritable, Gilles Davot[1], chapelain de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle et « confesseur du mari de la Voisin, » s’associe à l’exploitation. C’est Davot qui dit les messes noires ; c’est lui qui « met sous le calice » les billets où Bonnard inscrit ses desiderata : la reprise des papiers, obtenue, s’il le faut, par la mort de du Pin[2]. Le plus grave est que ces billets, d’après le conseil de Lesage, portaient « les noms du duc de Luxembourg, de sa femme et de sa belle-sœur, » la princesse de Tingry, et qu’il semblait ainsi que l’on fît par leur ordre exprès conjurations et sacrilèges.

Pendant ce beau manège, Luxembourg était aux armées, « plus occupé, comme il le dit, des services que je tâchais de rendre que de mes affaires domestiques. » La paix conclue et signée à Nimègue, il revint à Paris, où son premier soin fut celui de terminer à tout prix son procès. « A mon retour, écrit-il, je trouvai l’affaire en état d’être jugée, et Prieur[3]dans l’espérance de recouvrer les papiers nécessaires, par le moyen de Bonnard, qui les lui promettait tous les jours. » Mais, à mesure que le temps s’écoulait, croissaient les exigences des exploiteurs de l’intendant, lequel augmentait ses demandes dans la même proportion. C’étaient maintenant « deux mille écus » qu’il fallait, à l’entendre, pour mener à bonne fin la négociation. Luxembourg, de guerre lasse, consentit à donner la somme, sous condition que, le soir même, il recevrait les documens. La soirée, la nuit, se passèrent, sans qu’il vît paraître Bonnard ; mais, le lendemain matin, 10 mars 1679[4], comme il était encore au lit,

  1. Gilles Davot, né à Argentan, en Normandie, l’an 1639, brûlé en place de Grève le 9 juillet 1681. Il avait été le confesseur du bourreau, lequel, par reconnaissance, refusa de l’exécuter, et passa la main à ses aides.
  2. Interrogatoire de Landart du 28 janvier 1680, de Lesage du 9 mars 1680, etc. Archives de la Bastille.
  3. Son procureur.
  4. Requête du duc de Luxembourg à Nosseigneurs de la Chambre royale. Mss Bibl. nationale, Fonas Clérambault, 1192.