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on lui annonça l’intendant. Ce dernier entra dans la chambre, un papier à la main. Ce n’était pas, hélas ! la pièce tant désirée, mais seulement un « pouvoir » tout préparé et dressé à l’avance, qui lui était, dit-il, indispensable « pour retirer l’écrit » des mains de ceux qui le détenaient, en leur versant « cinq cents pistoles[1]. » Luxembourg, sans défiance, prit le pouvoir et le signa ; toutefois, et par pure précaution, comme « le procureur fiscal de Ligny » se trouvait dans la chambre, il le pria d’y jeter un coup d’œil. Le procureur alla vers la fenêtre, — car le jour se levait à peine, — prit le papier, le lut, « n’y trouva rien à dire, » ainsi qu’il l’affirma par la suite à l’enquête, le rendit à Bonnard, qui le mit en poche et sortit. On fut trois jours entiers sans en avoir aucune nouvelle.

Ce que le duc n’apprit que bien longtemps après, c’est que Bonnard, après avoir quitté son maître, était allé droit chez Lesage pour lui remettre le papier. Le magicien l’examina, le tourna en tout sens ; puis, le montrant à l’intendant, il lui fit observer « qu’il y manquait quelque chose d’essentiel, » une chose, insista-t-il, qu’il fallait ajouter de toute nécessité, pour être certains du succès. Cette addition n’était rien moins qu’un pacte avec l’Esprit, une « donation, » comme on disait alors, dont la clause capitale serait la reprise des papiers et le gain du procès. Bonnard, — suivant l’expression d’un témoin, — « en avait jusqu’alors trop fait pour reculer. » Rempli de foi d’ailleurs en la toute-puissance de Lesage, il inscrivit lui-même, dans l’espace resté libre au-dessus de la signature, les quelques mots qu’on lui dicta. Il ne put pourtant si bien faire que « l’écriture n’entrât un peu dans le signe[2]de M. De Luxembourg. »

Cette scène eut pour témoin un troisième personnage, dont le rôle dans l’affaire est touche et mystérieux. Il avait nom Botot[3], sans profession bien définie, moitié agent d’affaires et moitié policier, fripon complet dans les deux cas. Présenté par Lesage, il s’était attiré la confiance de Bonnard, qu’il accablait de ses protestations, et près duquel il exaltait sans cesse la science du magicien. Il fut découvert par la suite que Botot était

  1. Note de Mme de Ville-Evrard, qui affirme avoir eu le pouvoir entre les mains. Loc. cit.
  2. La signature.
  3. « François Botot, élève du sieur Bonnard (sic), écroué à Vincennes le 23 mars 1679, » ainsi s’exprime une note tirée des Archives de la Bastille (Mss. De l’Arsenal, 10364).