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événemens de la journée et fut tout effaré lorsque, averti qu’on le demandait au guichet, il reconnut dans le visiteur annoncé le maréchal de Luxembourg. Sa surprise redoubla quand le duc l’informa qu’il se remettait sous sa garde et réclama pour le soir même « une chambre et un souper. » Sur la réponse du gouverneur qu’il ne recevait point de prisonnier sans ordre, Luxembourg tira de sa poche la lettre de cachet, qu’il apportait lui-même. Il fallut s’incliner. Bézemaux, ce premier jour, donna sa propre chambre, belle, aérée, assez spacieuse pour qu’on pût « s’y promener à l’aise. » Mais, le lendemain matin, un exempt des gardes du corps remit un ordre de Louvois, « pour resserrer étroitement » Luxembourg et agir en tout avec lui comme on faisait avec « les criminels. » Il fut donc transféré dans « l’une, des horribles chambres grillées » qui se trouvaient au haut des tours. Défense expresse fut faite de le laisser communiquer avec aucun être vivant, à l’exception du gouverneur et des commissaires de la Chambre[1].

« Le désagrément d’être mis en prison est si considérable, que cela m’empêche de compter pour quelque chose ce que j’y ai enduré, » écrira Luxembourg, peu après sa libération. Les détails venus jusqu’à nous sur le traitement auquel, pendant quatre grands mois, il fut assujetti laissent deviner toutefois ce que furent ses souffrances. La pièce qu’il habitait avait « six pas et demi de long, » située presque au-dessous des toits, juste assez haute pour que sa tête ne se heurtât pas au plafond. Le jour n’y pénétrait que par une seule fenêtre, percée dans l’épaisseur du mur, étroite et enfoncée, protégée par une double grille. Le voisinage « d’un fort vilain endroit » apportait nuit et jour une odeur suffocante ; l’on ne pouvait guère remédier à cet empoisonnement en ouvrant la fenêtre, celle-ci « donnant sur le fossé où l’on jetait toutes les ordures, » et « d’où sortait une exhalaison que M. De Bézemaux avouait être fort puante. » Ne pouvant faire un pas, rapidement las de se tenir debout, le maréchal passait toutes ses journées assis, à lire sous la fenêtre, pour profiter de la faible lumière que laissait filtrer le grillage. À ce régime, il contracta de violentes douleurs, qu’il conserva jusqu’au dernier jour de sa vie.

Le mobilier de cette cellule était, au début, fort sommaire :

  1. Note de Mme de Ville-Évrafd, loc. cit. — Rapports adressés à Condé. Archives de Chantilly. — Lettres de Sévigné, de Bussy-Rabutin, etc.