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l’Angleterre, pour le gouvernement conservateur et unioniste qui depuis plus de seize ans, sauf le court intervalle de 1892 à 1895, régit le Royaume Désuni de Grande-Bretagne et d’Irlande : c’était le moment, ou jamais, de tenter de concilier l’inconciliable Erin par une politique généreuse et vraiment réparatrice qui, de l’Ile Rebelle, eût fait à jamais l’Ile-Sœur. De fait, une politique de réformes et de concessions fut inaugurée il y a une douzaine d’années, — oh ! bien timidement et avec quelle réserve ! — par le premier ministre d’aujourd’hui, M. Arthur Balfour, alors secrétaire en chef pour l’Irlande, et continuée depuis lors par son frère, M. Gerald Balfour. Le « Balfourianisme, » comme on l’appela, eut cet objet avoué, tout en développant les ressources matérielles de l’Irlande, de « tuer le home rule par la douceur, » de faire oublier aux Irlandais leur sentiment national, sentiment factice et suranné, disait-on, que flattent par calcul les politiciens et les agitateurs, mais qui ne répond plus à rien de réel et qui devra faire place un jour au sens vrai de l’Empire dans l’âme de l’Irlande. L’Irlande accepta les concessions, si modiques fussent-elles, elle les accepta non sans défiance, — Timeo Danaos et dona ferentes ; — mais, quant à se faire impérialiste et à renoncer à ses droits nationaux, elle en était si loin, que, lorsque éclata en 1899 la guerre sud-africaine, on vit l’opinion populaire se monter et s’enflammer soudain, comme si elle n’avait attendu qu’une occasion pour sortir de son inertie, s’enthousiasmer pour la cause anti-anglaise et donner cours à la recrudescence de son hostilité contre l’Angleterre et l’Empire : c’est alors qu’on put voir quels fruits avait portés l’Impérialisme dans l’île d’Erin.

Pendant les trois années que dure la guerre, on dirait que toute la politique de l’Irlande se réduit à crier : Hourrah pour les Boers ! A peine réunis, les nouveaux conseils de district et de comté, créés en 1898, s’affirment à la vie en votant des adresses de félicitation au président Krüger et des ordres du jour de flétrissure pour l’ « Empire-pirate du monde. » La presse et les politiciens rivalisent dans leurs démonstrations de sympathie pour les deux républiques : l’Angleterre, — patience ou impuissance ? — laisse faire et laisse dire. On acclame chacune des défaites anglaises, sans cacher qu’on est assez fier au fond de l’héroïsme des Inniskillings à Pieters, des Dublin Fusiliers à Talana Hill et des Connaught rangers à Colenso, de tous ces beaux