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Irlandais, cette hostilité, cette disloyalty croissante : mais à qui et à quoi serions-nous « loyaux[1] ? » A un gouvernement qui, fondé tout entier sur le Divide ut imperes, n’a cessé de dégrader et de démoraliser le peuple conquis ? A une constitution qui depuis cent ans nous prive de nos droits autonomes ? A l’Angleterre qui depuis sept siècles nous opprime et nous exploite, qui à présent encore dépeuple et anglicise le pays, détruit la race, n’ayant pour but que de faire de l’Irlande un ranch à bestiaux et un garde-manger pour John Bull ; à cette Angleterre qui se dresse de toute sa hauteur devant notre soleil, comme un mur de prison, qui dénature l’histoire pour répandre par le monde sur nous-mêmes et notre patrie sa thèse calomnieuse, et qui croit avoir enfin racheté le passé par une série de demi-mesures ou de réformes mal appropriées à nos besoins, toujours venues trop tard et qui ne lui ont été arrachées que sous la menace de la violence ou du fenianisme ! L’Angleterre a tout fait pour nous faire rebelles. Du « loyalisme » de notre part ne serait que de l’hypocrisie : loyauté sans liberté, a dit Grattan, c’est corruption !

Notez à quel moment éclate cette recrudescence d’anti-britannisme : au moment où l’Irlande, après avoir accueilli sans enthousiasme, mais sans arrière-pensée, les concessions dont le gouvernement conservateur avait fait depuis quelque temps son programme, constate en fait la radicale insuffisance de ces timides essais de réparation. La première de toutes les questions dont l’ensemble constitue « la question d’Irlande, » c’est la question agraire : or, elle reste ouverte, plus complexe et plus urgente que jamais, — nous le verrons plus loin, — après les deux lois nouvelles de 1891 et 1896. On s’est attaqué, il est vrai, pour la première fois au problème de l’Ouest irlandais, — problème social, — mais sans confier au Congested Districts Board nouvellement créé les fonds ni les pouvoirs qui lui seraient nécessaires. On a enfin donné aux Irlandais un local government représentatif, c’est-à-dire des assemblées électives chargées de

  1. Le roi, personnellement, n’est pas impopulaire en Irlande, comme l’était la reine Victoria, laquelle n’avait jamais caché ses sentimens anti-irlandais. On le croit, sans grande raison d’ailleurs, favorable au home rule. Lors de sa maladie en juin 1902, le sentiment populaire irlandais fut vivement et sincèrement affecté, la sympathie se montra sans réserve, et le jour où la triste nouvelle parvint à Dublin, le grand journal nationaliste, le Freeman’s Journal, termina son article de tête par ces mots : God save the King !