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longtemps négligée, a été récemment enfin prise en main par un homme d’une rare énergie, le député libéral-unioniste de South Tyrone, M. T. W. Russell. Vers la fin de l’année 1900, M. Russell, alors membre du ministère Salisbury, ouvrait dans I’Ulster, par protestation contre les tendances réactionnaires de l’unionisme régnant, une active campagne en faveur de l’abolition du landlordisme, campagne où lord Salisbury se déclara, « dans les circonstances présentes, » incapable de le suivre. Cette campagne, M. Russell la continue depuis lors à titre privé, dans le pays et dans la presse, au Parlement où il gagne à ses idées une grosse fraction du parti libéral. L’Ascendancy, d’ailleurs, l’outrage, ses anciens amis le traitent de nationaliste déguisé, — lui qui, lors de la crise du home rule, lutta avec plus d’ardeur et de succès que personne pour la cause de l’Union ; — récemment, à Dromore, il est blessé à coups de pierres par un parti « d’orangistes » ameutés : rien ne l’arrête, et son succès enflamme le pays.

Notez que ce n’est pas à l’Acte d’union qu’en veut, comme le Munster ou le Connaught, cet Ulster maintenant soulevé d’un bout à l’autre contre le régime agraire. C’est un esprit démocratique qui l’anime, et non pas l’esprit national. Protestant, loyaliste, il ne pactise pas avec l’Irlande nationaliste et catholique. Il est las du joug du landlordisme, il veut être maître du sol, et pour le moment il ne regarde pas au-delà. Verrons-nous plus loin, quant à nous ? Se pourrait-il qu’un jour il s’unît plus étroitement et sans arrière-pensée avec l’Irlande nationale, et que l’on vît alors renaître le temps des Irlandais-Unis ? C’est la crainte des unionistes et l’espoir des nationalistes : il ne faudrait qu’une chose pour cela, il faudrait que la communauté de luttes et d’intérêts apprît aux protestans et aux catholiques à se respecter mutuellement, et éteignît l’ardeur des passions « anti-papistes » dans l’âme indépendante et farouche des puritains du Nord[1]. Mais ce qui ne fait pas de doute, c’est que, dès à présent, du Nord au Sud de l’Ile d’Erin, le landlordisme a contre lui l’ensemble de la population agraire, protestans et catholiques,

  1. Dans le Sud catholique, il n’y a guère d’anti-protestantisme ; on a bien moins d’hostilité contre les protestans que contre les unionistes et les « orangistes : » une preuve de cette tolérance est qu’il y a un certain nombre de protestans parmi les députés nationalistes irlandais. Dans I’Ulster, au contraire, les passions religieuses sont plus violentes que les passions politiques, et on est bien plus « anti-papiste » qu’on n’est anti-nationaliste.