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loyalistes et nationalistes, qui tous réclament d’une voix son abolition ; le temps est passé, pour le « Château, » des promesses et des atermoiemens ; si les Celtes du Midi ont la tête chaude, les Scots de l’Ulster ont la tête dure, et la révolte de l’Irlande entière contre les maîtres de la terre n’aura de fin que quand le dernier landlord aura affranchi le dernier paysan, j’allais dire le dernier serf, sur le sol irlandais.

Aussi bien est-ce là ce que comprend actuellement un grand nombre, et un nombre sans cesse croissant, de landlords, clairvoyans et modérés, que ne satisfont pas les dispositions réactionnaires et guerrières des grands maîtres de leur ordre, des régens de la Landowners Convention, et qui refusent de se laisser mener par eux à la ruine : d’où un second schisme, non moins grave que le premier, dans le parti unioniste irlandais[1]. Ils comprennent enfin qu’ils ont mieux à faire qu’à se laisser sacrifier aux ambitions politiques de ces hauts personnages ayant richesse, situation, puissance, qui se servent d’eux sans les servir, tout comme font les chefs de l’Orangisme officiel vis-à-vis du prolétariat de Belfast, ou les landlords ulstériens vis-à-vis de leurs paysans presbytériens. Que gagneraient-ils, pour leur part, à reprendre une fois de plus la lutte avec les paysans, à supposer que leurs moyens le leur permettent ? Ne seraient-ils pas à présent en meilleure situation, pécuniairement même, s’ils avaient accepté les offres de rachat que leur avaient faites Parnell en 1881 ou Gladstone en 1885 ? Ils comprennent enfin que le rôle de la « garnison » est fini, que ce qui leur reste d’influence ou de privilèges sera emporté à la marée prochaine, que l’heure héroïque, l’heure de la lutte et de la gloire a passé : celle de l’échéance sonne, le landlordisme a vécu. Ne vaut-il pas mieux prendre les devans, s’entendre d’homme à homme avec les paysans d’Irlande

  1. Il y en a un troisième, qui s’est produit récemment dans la capitale de l’Ulster, cette citadelle de l’unionisme, à Belfast. Ayant à élire un député, la démocratie « orangiste » de Belfast, cette démagogie bruyante et violente qui aime tant à crier par les rues : « A bas le pape ! » et jette des cailloux avec un égal plaisir sur les catholiques et sur la police, s’est révoltée contre les chefs de l’Orangisme officiel, contre l’oligarchie réactionnaire qui régit les « loges » orangistes. En face du luxueux et respectable Orange Hall, s’est élevé le parti de la Custom House, celui qui, faute d’une salle de réunion, tient ses meetings en plein air, le dimanche, sur les marches du bâtiment de la Douane, de la Custom House, et finalement l’on a élu un représentant, qui, farouche unioniste et protestant acharné, a saisi, au Parlement, la première occasion venue pour voter contre le gouvernement. Ce qui vient de se passer à Belfast pourra bien se reproduire à Derry et dans les autres villes de l’Ulster.