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ritournelle ; s’étonner aussi de voir et d’entendre, — si longtemps, en un pareil moment, — une harpe aux mains de Desdemona. La vérité dramatique en souffre quelque offense, que rachète heureusement la beauté de la musique, la tristesse, la noblesse et la pureté de la mélodie. Celle-ci revient trois fois, je le sais. Mais il dépend de l’interprète qu’elle ne revienne pas la même. Et d’ailleurs elle ne l’est pas ; ou plutôt, identique au fond et par les notes essentielles, elle se transforme, grâce aux notes de passage ou d’ornement, aux traits, aux vocalises qui la parent et la fleurissent, de fleurs qu’il est aisé de rendre sombres et presque funéraires. La Malibran et sa sœur Mme Viardot ne firent-elles pas ainsi ? Un grand poète en a porté témoignage. Dans un article de ses Mélanges sur les débuts de Pauline Garcia, Musset a célébré les deux illustres et fraternelles cantatrices. Ailleurs, en quelques vers du Saule, il avait déjà donné de la fameuse romance la plus juste et la plus éloquente analyse :


La terreur brise, étend, précipite les sons.
…….
Mais quand, au dernier chant, la redoutable flamme
Pour la troisième fois vient repasser sur l’âme
Déjà prête à se fondre, et que dans sa frayeur
L’enfant presse en criant sa harpe sur son cœur…


La pensée, ou plutôt la passion, la suite et le progrès de la tragique élégie, tout est compris et décrit en ces vers. Il n’est pas jusque la harpe que ne nous fasse accepter, admirer même, la vision de ce geste et de cette poignante étreinte. Dans la poésie comme dans la musique, Shakspeare est présent ici. La musique, on le sait, a ses airs de bravoure ; elle en a d’épouvante aussi, et celui-là compte parmi les plus beaux.

Si la romance du Saule passe à juste titre pour un reste ou pour une relique (j’aimerais mieux « relique ») du vieil opéra italien, l’Hamlet d’Ambroise Thomas porte en maint endroit le caractère ou la marque du grand opéra français. « Il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel, Horatio, qu’il n’en est rêvé dans votre philosophie. » De même, dans la philosophie et dans les rêves du prince de Danemark, il y a plus de choses, ou du moins il y a des choses que la musique n’a peut-être ni la mission ni la faculté de rendre. Mais cela n’empêche pas que l’œuvre d’Ambroise Thomas ne renferme quelques passages vraiment