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donner sa démission et n’a pas tardé à mourir. Un pareil exemple est de nature à faire réfléchir le prince Ferdinand. Il ne veut pas rompre avec Saint-Pétersbourg ; il se sent impuissant à contenir chez lui l’élément révolutionnaire. Quel parti a-t-il pris ? Le plus extraordinaire de tous : il est parti. On a rappelé qu’il avait déjà eu recours à cet expédient ; mais jamais encore il n’en avait usé dans des circonstances aussi graves. Ce n’est pas au fort de l’orage qu’il est permis d’abandonner le gouvernail. Les sujets du prince Ferdinand ont été surpris et émus de son départ pour Menton en un pareil moment : un journal bulgare a même écrit rudement que, s’il leur donnait l’habitude de se passer de lui dans les circonstances difficiles, ils pourraient bien la garder dans les autres. En Europe, on a cru naturellement que le prince ne voulait pas prendre de responsabilité dans les événemens qu’il jugeait inévitables et imminens. La presse allemande, qui ne lui veut pas beaucoup de bien, a trouvé un mot d’esprit et le répète volontiers, à savoir que, sentant qu’on allait commettre des crimes, ou du moins des sottises, il a voulu se créer un alibi. Il est donc venu à Menton où il a passé huit jours : on assure qu’il était réellement malade. Au bout de ce temps, sa santé lui a permis de rejoindre sa principauté, mais à petites journées. Il s’est d’abord arrêté à Paris, où il a vu M. le Président de la République et M. Delcassé ; il est parti de là pour Vienne, où il verra le comte Goluchowski.

Sans doute sa situation est embarrassante et délicate. Elle est même peu enviable aujourd’hui : cependant tout porte à croire qu’il y tient. Que doit-il donc faire ? L’histoire d’Alexandre de Battenberg, que nous avons rappelée, montre clairement qu’un prince de Bulgarie doit prendre son orientation politique au nord : et, si cela est vrai en tout temps, combien plus cela l’est-il à l’heure où nous sommes, puisqu’un accord parfait règne entre Saint-Pétersbourg et Vienne ? Si cet accord n’existait pas et si, comme il est arrivé souvent dans leur histoire commune, l’Autriche et la Russie soutenaient aujourd’hui des politiques différentes ou contraires dans les Balkans, à défaut d’un appui qui lui manquerait ici, le prince Ferdinand pourrait en trouver un là. Mais la similitude des vues est complète entre les deux puissances : elles s’entendent même pour en donner la preuve publique en faisant faire par leurs deux ambassadeurs des démarches collectives à Constantinople. Le prince Ferdinand entendra donc de la bouche du comte Goluchowski à Vienne le même langage que lui tiendrait le comte Lamsdorff à Saint-Pétersbourg. Dès lors, il ne peut pas avoir d’hésitation sur la conduite à tenir. Nous n’entendons pas