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présence d’esprit, votre humanité[1] et votre courage ; ce sont les éloges qui sont dans toutes les bouches à propos de vous, et moi, qui ne vous flatte pas, j’ai pourtant bien le droit de vous raconter ce que j’entends sur votre compte. Vous allez, sans doute, vous reposer quelque temps ; voici la saison des pluies, et je souhaite que vous la passiez sans expédition et sans encombre. Il me semble que vous avez bien peu de monde avec vous ; Abd-el-Kader rôde autour de vous : méfiez-vous de lui ! Votre présence l’attirera partout où vous serez, surtout s’il vous sait imprudent et dégarni. Je ne partage pas les alarmes que sa réapparition a causée à Paris, où les affaires d’Afrique se voient généralement en noir ; mais l’extrême sécurité, qui est le défaut de votre âge, aurait aussi de graves inconvéniens. A la distance où je suis de vous, mon cher Prince, pardonnez-moi de n’avoir à vous servir, en fait de conseils, que ces inutiles banalités.


2 mars 1843.

… Vos débuts dans le commandement, mon cher Prince, ont eu un plein succès : on vous sait gré, en France, du dévouement que vous montrez, à l’âge du plaisir, et dans une aussi haute fortune. Votre rapport a plu par sa modestie, sa simplicité et sa netteté parfaite. Votre petite campagne a paru bien conduite ; soyez sûr que l’opinion vous tient compte, et très généreusement, de ce que vous faites. Les alarmes excitées par la pointe d’Abd-el-Kader, entre Milianah et Cherchell, sont tout à fait calmées ; une lettre de Bugeaud adressée au Journal des Débats sous forme anonyme, et que vous lirez dans le numéro du 28 février, a contribué à ce résultat. S’il n’arrive pas quelque nouvelle aventure avant la discussion des affaires d’Alger devant la Chambre, tout se passera bien. Les partisans de l’occupation restreinte ont perdu beaucoup de terrain ; et ils n’en avaient

  1. Entre autres épisodes, le récit dont parle cette lettre faisait connaître celui-ci : « J’ai eu occasion de donner une leçon aux tribus qui se soumettent à nos ennemis ; pendant notre grande halte, j’envoyai cerner par les spahis un douar des Sioufs qui avait assisté Ben Allai dans ses dernières opérations. L’ennemi eut trois hommes tués ; sept ou huit furent pris ainsi que leurs famille et leurs troupeaux. Ce coup de main a été baptisé par les soldats ghazzia du déjeuner. Mais les femmes et les enfans, marchant nu-pieds sur les cailloux, au train d’une colonne, me faisaient trop de peine ; je les ai fait relâcher et n’ai gardé que les hommes. Un spahi vint, en pleurant, me réclamer sa sœur, qui était parmi les prisonnières ; j’étais fort attendri, lorsque je découvris qu’il avait choisi pour sœur la plus jolie des femmes, et que la prétendue fraternité du gaillard n’était rien moins que cela. »