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immédiatement leurs effets. Ou encore, et s’il l’aime mieux, c’est que leur action se propage et se prolonge bien au-delà du point et du moment précis où elles se sont manifestées. Rosbach n’avait pas effacé Fontenoy de l’histoire ! Le souvenir de Louis XIV vivait toujours dans la mémoire de l’Europe. Et, généralement, comme Voltaire et Rousseau lui-même, c’était dans les tragédies de Racine, dans les Oraisons funèbres de Bossuet, dans les Fables de La Fontaine ou dans les romans de Lesage, que les lecteurs de Rousseau et de Voltaire avaient appris le français. Mais à quels excès la haine irraisonnée du « militarisme, » et de tout ce qu’on enveloppe indûment sous ce nom, ne peut-elle pas conduire un « sociologue ! »

« Si l’on voulait établir un lien, dit M. J. Novicow, entre les victoires militaires et les victoires nationales, on pourrait presque dire qu’elles sont en raison inverse les unes des autres ; » et il apporte l’exemple des Turcs ! Sachons-lui gré de ce « presque ; » et convenons avec lui qu’au fait la langue et la littérature turques ne sont pas très répandues dans le monde ! Qu’est-ce que cela prouve ? Il faut dire, plus simplement, qu’entre les victoires militaires, et les « victoires nationales, » — qui sont, dans le vocabulaire de M. J. Novicow, l’expansion d’un grand peuple et son influence croissante sur d’autres peuples, — il n’y a pas de liaison nécessaire, ni de coïncidence entière, ni même quelquefois de coïncidence du tout. Il y a plus de rencontres ou d’accidens en histoire que la « sociologie » n’en saurait expliquer ! Il y a aussi de simples hasards. Toutes les qualités de la langue de Shakspeare et de Mil ton n’auraient pu faire qu’elle fût aujourd’hui parlée par 130 ou 140 millions d’êtres humains, si, de cette Grande-Bretagne, hier encore isolée du reste de l’univers, — toto divisos orbe Britannos, — les circonstances n’avaient pas fait, depuis tantôt cent ans, le centre, ou, comme on disait jadis, « l’ombilic » du monde civilisé. Mais enfin, et quoi qu’il en soit des victoires militaires et des victoires nationales, il ne peut pas nous déplaire, à nous Français, qu’ayant entrepris de faire l’apologie de la langue française, M. J. Novicow ne trouve qu’en elle, et en elle seule, dans sa nature propre et dans ses qualités essentielles, dans son pouvoir secret et dans ses vertus cachées, la raison de sa diffusion et, avec l’explication de sa fortune passée, la promesse ou la garantie de son expansion future.

Il passe rapidement sur les défauts qu’il lui reproche, et dont