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de commencer par en étudier sept ou huit, il est bien inutile d’inventer, à grands frais d’imagination, et non sans quelque ridicule, un « volapück, » ou un « espéranto » — pourquoi pas un « javanais ? » — et il suffira dans l’avenir, au français, de développer les qualités qui furent et qui n’ont pas cessé d’être les siennes. Je ne verrais, pour l’en empêcher, et nuire à sa diffusion, que quelques poètes « obscurs », des « Verlainiens, » des « Mallarmistes, » quelques « stylistes » attardés aux théories de l’art pour l’art, des élèves des Goncourt ou de Théophile Gautier ! Mais le nombre en est petit, les temps ne leur sont pas favorables ; on ne croit guère à eux qu’en Amérique ; et ils pourront bien agiter un moment la surface de l’onde, ils n’interrompront pas le courant qui, depuis trois cents ans, entraîne la langue française vers la clarté, vers l’action, et vers la propagande.

Discuterons-nous, après cela, les opinions de M. J. Novicow sur la propagation du français par l’intermédiaire de la « mode » et de la « cuisine ? » « Les menus, presque universellement, sont écrits en français dans le monde civilisé ;… » et, à ce propos, nous souvenant que M. J. Novicow est lui-même étranger, nous lui demanderons où, dans quel autre « monde » que le « civilisé » on rédige des « menus ? » « La mode féminine vient actuellement de France, nous dit-il encore, les journaux des grandes faiseuses de Paris se répandent dans le monde entier. Les couturières et les dames, pour comprendre ces journaux, sont poussées à apprendre le français. » Et il paraît enfin « qu’un cotillon ne peut être conduit qu’avec des mots français ! » Il n’y a pas en russe d’expression pour dire : « Balancez vos dames. » M. J. Novicow, sans insister sur ces menus faits, « qui paraissent vulgaires, mais qui ont une extrême importance, parce qu’ils composent la trame de la vie journalière, » a raison de les signaler. Si c’est jadis en apprenant le latin dans les livres et aux écoles, c’est peut-être surtout en vivant de la vie romaine que la Gaule celtique s’est latinisée : c’est en imitant, et en s’appropriant les habitudes, les usages, les mœurs, les plaisirs mêmes qui étaient ceux de Rome. Oui, certainement, ces menus faits ont plus d’importance qu’on ne serait tenté de le croire ! La goutte d’eau creuse le roc. Les usages de la vie française, en s’exportant, si je puis ainsi dire, emportent avec eux l’usage habituel de la langue. N’apprît-on le français que pour danser le cotillon, ou pour se commander une robe, c’est toujours le français qu’on apprend,