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« victoires militaires » et les « conquêtes nationales, » nous en pourrions sans doute, et aisément, montrer la vanité. Mais nous nous contenterons de dire, — ce qui sera moins ambitieux ou même presque naïf, — que, l’expansion d’un grand peuple étant suivie quelquefois de la diffusion de sa langue, elle ne l’est pas toujours. Cela dépend des qualités de la langue. Cela dépend aussi des circonstances, qu’il est d’ailleurs toujours intéressant et instructif d’analyser, mais qui semblent, dans l’état présent de nos connaissances, échapper à toute espèce de loi, même « sociologique. » Et nous maintiendrons enfin qu’une langue eût-elle encore plus de qualités que M. J. Novicow n’en reconnaît à la nôtre, il n’est jamais inutile à sa diffusion d’être parlée par des millions d’êtres humains qui l’aient d’abord apprise des lèvres de leur mère ou de leur nourrice, et qui soient les citoyens d’un pays populeux, prospère et puissant. Ce n’est pas d’apercevoir, aux vitrines d’un libraire de Berlin ou de Saint-Pétersbourg, nos romans étalés, et ce n’est pas d’entendre, dans quelque « beuglant » d’Hanoï ou de Tananarive, nos refrains de café-concert, qui nous consolera de n’être plus ce que nous fûmes, ni qui nous rendra les moyens de le redevenir !

Ceci dit, et ces réserves faites, il n’en reste pas moins, du livre de M. J. Novicow, deux choses, et d’abord ce que nous avons nous-même essayé d’en mettre principalement en lumière : une excellente apologie de la langue française. Etant d’un Russe, nous avons tout lieu de la tenir pour impartiale, et ce Russe, comme la plupart de ses compatriotes, sachant l’allemand et l’anglais aussi bien que le français, nous avons lieu de la croire solide. Si M. J. Novicow connaît les « qualités » du français, il connaît aussi les défauts de notre langue ; il connaît les qualités de la langue de Shakspeare et de celle de Gœthe ; et les préférences qu’il exprime en faveur du français, ne sont donc point des « préférences, » l’expression de son goût personnel ou de ses sympathies, mais les conclusions de son expérience linguistique, et la totalisation, si je puis ainsi dire, de ses observations raisonnées. En outre, et dépouillée ou libérée qu’elle est de toute préoccupation d’art ou de philologie, cette apologie est d’un utilitaire, qui ne veut considérer dans une langue, qui n’en admire et qui n’en loue, que les facilités qu’elle offre à l’expression de la pensée. Si d’autres causes, plus littéraires, ont pu contribuer à la diffusion de la langue française, M. J. Novicow n’a pas cru qu’il