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jetés dans le fourneau de la Voisin, « séchés, réduits en poudre, » éparpillés parmi les cendres[1]. Tout Paris répéta ces absurdités monstrueuses.

Rien n’égala la honte, la surprise, l’épouvante de Mme de Tingry, quand elle se vit l’objet d’un décret de la Chambre ardente, et qu’elle connut les bruits qui couraient sur son compte. « Elle est dans son lit qui se désespère, mande Ricous à Condé[2]. Je lui ai dit, ce matin, qu’elle avait deux exemples à suivre : Mme la Comtesse (de Soissons), si elle était tant soit peu coupable, M. De Luxembourg, si elle était innocente. Elle m’a dit qu’elle n’avait rien à se reprocher, qu’elle n’avait jamais vu ni ne connaissait personne de tous ces gens-là. » Mme de Sévigné rapporte aussi ses gémissemens, ses plaintes effarouchées : « Elle dit : « J’admire le monde ! On croit que j’ai couché avec M. De Luxembourg, et que j’ai eu des enfans de lui. Hélas ! Dieu le sait ! » Et la marquise, qui pourtant ne l’aime guère, ne peut, tout en raillant, s’empêcher de la plaindre. En un tel état d’affolement, ses amis craignaient de sa part des dépositions imprudentes, dangereuses et pour elle-même et pour le maréchal. Condé, qui la connaissait bien, n’était nullement tranquille et l’engageait fort à se taire devant les magistrats : « Il ne faut pas qu’elle réponde un seul mot, qu’elle n’ait pris auparavant l’avis d’un bon conseil… Vous pouvez l’assurer, ajoute-t-il pour encouragement, que je n’ai rien cru de toutes les sottises que l’on a dites d’elle, et que j’ai bien au contraire toute la bonne opinion qu’on peut avoir d’une personne de sa qualité et de son mérite. »

L’effet des conseils de prudence ne se fit pas longtemps attendre. Le 29 janvier, en effet, un ordre de la Chambre mandait à l’Arsenal la princesse de Tingry, avec la duchesse de Bouillon[3], pour être, ce même jour, ouïes et interrogées, la première sur l’affaire de Bonnard et du Pin, la deuxième au sujet d’une délation de la Voisin, portant que la duchesse lui était venue demander « un peu de poison » pour se défaire « d’un vieux mari qui la faisait mourir d’ennui, » ainsi qu’une « invention pour en épouser un plus jeune. » La maréchale de

  1. Bourdelot à Condé. 29 janvier. Archives de Chantilly. — Lettres de Sévigné, de Bussy-Rabutin, etc.
  2. 25 janvier. Archives de Chantilly.
  3. Marie-Anne Mancini, née en 1649, mariée à Godefroy de La Tour, duc de Bouillon, C’était une femme spirituelle et lettrée, grande amie de La Fontaine, qui admirait et la prônait fort. Elle mourut à Paris en 1714.