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personne[1]. » Lorsqu’il franchit le seuil de l’Arsenal, la Chambre, au grand complet, était déjà depuis un moment en séance ; le sieur Robert, procureur général, achevait de donner connaissance des conclusions définitives de son réquisitoire. Favorables à l’accusé, elles se résumaient à la fin en cette formule d’usage : « Il n’empêche pour le Roi Montmorency, duc de Luxembourg, être déchargé de l’accusation[2]. » Cette lecture à peine terminée, on fit entrer le maréchal.

Dès qu’il apparut dans la salle, tous les juges se levèrent, et se découvrirent devant lui. Il marcha vers la barre, s’y tint debout, attendant les questions. L’interrogatoire fut conduit par Louis Boucherat, président de la Chambre ; il fut d’ailleurs sommaire, ne roula que sur peu de points, tout étant d’avance éclairci. L’accusé répondit avec une brièveté pareille ; on sentait, des deux parts, qu’on n’agissait que pour la forme. A l’instant de se retirer, Luxembourg s’arrêta, fit un pas vers le tribunal, puis d’une voix ferme et haute : « Messieurs, dit-il aux magistrats[3], je ne me suis rendu volontairement à la Bastille que pour me justifier des accusations fausses, horribles et absurdes, intentées contre moi. Si vous trouvez que je ne les ai pas détruites d’une manière victorieuse, je n’ai qu’une grâce à vous demander : c’est de resserrer mes liens, jusqu’à ce que toute la nation sache bien que je n’eus jamais de faiblesses indignes de mon rang envers les misérables avec lesquels on m’a accusé d’être en étroite liaison. » Sur ces mots, il sortit, regagna son carrosse, il fut ramené vers la Bastille, où on l’écroua derechef.

Aussitôt son départ, les juges opinèrent tour à tour. L’avis, dit-on, fut unanime. Luxembourg, d’une seule voix, fut déchargé de toute accusation. L’arrêt rendu et rédigé sur l’heure, le chevalier de Valençay fut dépêché vers Fontainebleau ; il avait pour mission de porter le jugement au Roi et de lui demander une « lettre de cachet, » pour élargir le maréchal. La décision royale ne fut connue que le lendemain, par un billet adressé à Bézemaux : Louis XIV lui prescrivait d’ouvrir à son prisonnier les portes de la Bastille, mais, joignant à cet ordre un correctif inattendu, il y mettait pour condition que Luxembourg quittât Paris, et s’en allât

  1. Relations véritables des Pays-Bas. — Histoire de la maison de Montmorency, par Désormeaux, t. V. — Lettres de Bussy-Rabutin.
  2. Archives de la Bastille.
  3. Histoire de la maison de Montmorency, passim.