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beaucoup mieux son affaire ; et les socialistes lui apportaient la corne d’abondance. On s’est cru à la porte du paradis terrestre ; il suffisait de la pousser et d’entrer ; comment ne s’en était-on pas avisé plus tôt ? Le point culminant de cette évolution dans les esprits a été atteint aux élections de 1898. Il y a eu alors un beau moment de confiance. Les socialistes sont devenus l’élément le plus important de la majorité parlementaire, et bientôt même ils sont entrés dans le ministère. Depuis, le pays attend la réalisation des belles promesses qu’ils lui avaient faites et, comme ma sœur Anne, ne voit rien venir. M. Jaurès était bien descendu d’une sorte de Mont-Sinaï au milieu de la foudre et des éclairs, et avec une belle allure, en vérité ! mais il n’y avait rien d’écrit sur les tables de la loi qu’il portait entre les mains. On s’est aperçu alors qu’il y avait eu injustice, au moins comparative, à taxer les radicaux d’impuissance : combien plus qu’eux les socialistes méritaient ce reproche ! Jamais faillite n’avait été plus complète. Il fallait, à tout prix, couvrir, cet échec : comment faire ? M. Jaurès a bien imaginé de nous reparler de l’affaire Dreyfus ; mais personne ne s’en soucie et ne lui répond. C’est ainsi qu’on a été ramené à fouiller dans le passé et à offrir au pays du vieux-neuf. Le programme radical, si déprécié naguère, a repris, comme on dit dans le détestable jargon du jour, un regain d’actualité, et la séparation de l’Église et de l’État est revenue à la mode.

Ce n’est pas que le gouvernement en soit partisan : il sait fort bien qu’il n’y a pas de plus redoutable aventure. Mais il a des amis qui ne s’arrêtent pas à ses scrupules et qui espèrent bien les vaincre de manière ou d’autre. Ils ont commencé une campagne pour obtenir la dénonciation du Concordat. M. De Pressensé a déposé une proposition de loi sur la matière, œuvre de sectaire sur laquelle nous aurons sans doute à revenir un jour, et il l’a publiée dans les journaux pendant les vacances afin de produire quelque effet sur l’opinion. L’effet a d’ailleurs été nul : l’œuvre est compacte et massive, elle a besoin d’être délayée. Mais il s’est trouvé des apôtres d’un autre genre, partisans et praticiens de ce qu’on a appelé la propagande par le fait, et de ce qu’ils appellent, eux, pour montrer qu’ils sont lettrés, la propagande par le geste. Leur geste consiste à envahir les églises et à troubler l’exercice du culte sous prétexte d’en faire la police, devoir qui ne les regarde pas, mais qu’ils n’ont que plus de mérite à remplir : ils corrigent par leur vigilance l’inertie de la police officielle. Leur premier exploit a eu lieu à l’église d’Aubervilliers. Au moment où le prédicateur ouvrait la bouche, ils lui ont coupé la parole