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situation générale ne manquera pas de s’en ressentir. On a vu clairement l’autre jour que la majorité ministérielle était divisée sur la question de la séparation de l’Église et de l’État, la plus importante de toutes celles qui sont posées en ce moment, et cela sans doute explique l’attitude équivoque et le langage embrouillé de M. le président du Conseil. MM. Etienne, Dubief et Sarrien approuvaient les déclarations du gouvernement et se déclaraient confians dans sa fermeté « pour réprimer les empiétemens du cléricalisme et assurer l’exécution des lois et le libre exercice des cultes. » C’était là un ordre du jour de confiance ; les modérés ne pouvaient pas le voter. On n’aurait ni compris, ni admis qu’ils témoignassent leur confiance dans le gouvernement pour assurer l’exercice de la liberté des cultes, après les incidens impunis d’Aubervilliers, de Plaisance et de Belleville. Le reste de la formule est de pur style : ce sont de ces mots dans lesquels les parlemens se complaisent lorsqu’ils ne veulent rien dire.

Mais l’ordre du jour Etienne était encore plus remarquable par ce qu’il ne disait pas que par ce qu’il disait. De la dénonciation du Concordat, pas un mot, et on peut bien penser que ce silence était intentionnel. C’est pour ce motif que le groupe socialiste avait refusé sa signature. Ce groupe, à défaut des réformes qu’il a promises, veut donner au pays la séparation de l’Église et de l’État. Il veut surtout continuer l’agitation antireligieuse. Aussi a-t-il présenté son propre ordre du jour par la main de M. Hubbard. Cet ordre du jour contient une injonction impérative ; il est ainsi conçu : « La Chambre, résolue à poursuivre une politique de complète liberté de conscience, invite le gouvernement à dénoncer le Concordat, et confiante dans sa fermeté, etc. » M. Etienne et M. Hubbard représentaient deux politiques opposées. M. Combes s’est prononcé pour la première ; il s’en est suivi un désordre indescriptible. Les socialistes, habitués à être mieux traités, ont fait entendre des clameurs indignées. Dans le premier moment de leur colère, ils annonçaient l’intention de repousser l’ordre du jour Etienne. Alors, que devenait le ministère ? Il était battu, il était obligé de s’en aller. Sentant bien qu’ils avaient besoin de retrouver leur sang-froid, les socialistes ont demandé une suspension de séance. Elle leur a été refusée ; mais, comme le scrutin a donné lieu à un pointage, elle a eu lieu tout de même ; il est d’usage que, pendant un pointage, la séance soit suspendue. L’embarras des socialistes était à son comble. S’ils étaient vainqueurs, — et ils ne pouvaient l’être qu’avec le concours du centre et de la droite, — le gouvernement était renversé. S’ils étaient battus, ils se trouvaient, par leur