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Cologne. Une mission française assistait à ces manœuvres[1] ; elle avait pour chef le général Hanrion, qui commandait à ce moment la division de Nancy. Le vieil Empereur avait quatre-vingt-sept ans ; il montait encore à cheval. A la grande parade du VIIIe corps, dans les environs de Cologne, on le vit quitter sa place, pendant le défilé des troupes, pour se porter au petit galop au-devant des hussards du Roi, dont il était le colonel honoraire, et défiler, à la tête de ce régiment, devant l’Impératrice, au milieu des hourras enthousiastes de la foule. Après la critique de la dernière manœuvre, il monta à cheval, suivi d’un nombreux état-major, qui formait comme une mer de casques à pointe ; et s’approchant des missions étrangères qu’on avait réunies pour prendre congé de lui, il leur dit, en français, en souriant avec bonhomie et finesse : « J’espère que ces messieurs ont bien vu, et qu’ils pourront rendre compte que tout est en ordre dans mon armée. » Les missions étrangères n’avaient qu’à s’incliner. Les officiers allemands qui l’entouraient paraissaient ravis du compliment indirect que leur adressait leur vieux souverain.

L’Empereur actuel, alors le prince Guillaume, était là, élégant dans sa tenue de major de hussards, brillant cavalier sur un très beau cheval gris, très gracieux pour la mission française, quand on la lui présenta, serrant les mains avec énergie, et disant : « Nous avons un grand respect pour votre armée. »

Le maréchal de Moltke assistait à ces manœuvres, en simple spectateur. Il avait quatre-vingt-quatre ans. Il était grand, sec, anguleux, le visage glabre, la mâchoire forte. Ce qui frappait surtout, c’était la modestie, l’attitude d’effacement voulu de ce grand homme qui a joué un rôle si important dans l’histoire de son pays, et malheureusement dans la nôtre. Son entrée à Düsseldorf fut saisissante.

Les officiers des missions étrangères venaient de terminer leur repas, à l’hôtel Breidenbacher, lorsqu’on entendit, dans la grande rue sur laquelle s’ouvre l’hôtel, des acclamations frénétiques qui se rapprochaient. Les officiers coururent au balcon. Dans la rue notre de monde, et au milieu des hourras, on voit s’avancer un fiacre, dans lequel se tenait un officier de cavalerie

  1. Je faisais partie de cette mission comme colonel du 25e régiment d’artillerie, stationné à Châlons-sur-Marne.