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manque complètement de décision et d’énergie. Notre haut commandement hésite, et subit immédiatement la pression de la volonté de l’adversaire ; lorsqu’il est forcé d’accepter la bataille, c’est pour se défendre passivement ; pour le maréchal Bazaine, l’art de la guerre paraît se résumer à occuper des positions, et à lutter pour les conserver.

C’est presque toujours sur place, en ripostant avec énergie, mais de pied ferme, que nos troupes attendent le choc de l’ennemi. On leur a, pour ainsi dire, interdit d’avoir de l’initiative. Pendant trois ans avant la guerre, on n’a cessé de leur répéter qu’il fallait renoncer à leur tendance à aller de l’avant[1], qui cependant leur avait valu des succès glorieux non seulement en Afrique, mais en Crimée, en Italie ; qu’avec les nouvelles armes, leur habitude d’attaquer, sans ordres, dès qu’elles étaient déployées, présentait les plus grands dangers, et qu’elles devaient attendre les ordres du haut commandement pour prendre l’offensive. Elles ont attendu en 1870, courageuses, étonnées de ne pas marcher sur l’ennemi ; et jamais les ordres d’attaquer ne sont venus.

Plus tard, après Sedan, lorsque la France se soulève et qu’elle met tout son cœur à lutter, il est trop tard. Notre gouvernement ne dispose plus que de troupes insuffisamment préparées. Les Allemands bien disciplinés, bien aguerris, remarquablement dirigés, ont sur nos formations improvisées une supériorité écrasante, qui simplifie leurs opérations, et qui imprime à leurs combinaisons une certitude presque absolue.

Le rôle de leurs armées est donc très intéressant à étudier au point de vue des marches, des manœuvres de grandes masses, et surtout au point de vue de l’état-major. Mais il l’est moins au point de vue de l’art de la guerre, de la lutte de deux volontés disposant à peu près des mêmes moyens, cherchant journellement à se gêner, à se contrecarrer, à se détruire mutuellement, jusqu’à ce que l’une d’elles soit brisée. Au début, la volonté

  1. Voir les Observations sur l’instruction sommaire pour le combat (Ministère de la Guerre, 1867). A partir de la publication de ces Observations jusqu’en 1870, de nombreuses conférences ont été faites, partout dans l’armée, pour développer, inculquer, — exagérer — les nouveaux principes. Il s’agissait surtout de réagir contre l’initiative trop grande de l’infanterie. Appliqués par un chef actif, entreprenant, ayant de la volonté, comme le maréchal Pélissier ou le maréchal Niel, ces principes auraient pu être utiles. Ils se sont retournés contre nous, et nous ont nui, avec la tactique passive du maréchal Bazaine.