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le recul de la puissance ottomane, avaient ôté à l’ordre de Malte ses raisons d’exister, quand la flotte de Bonaparte, en route pour l’Egypte, se présenta devant l’île. Il est dangereux, pour une grande institution, de survivre sans se renouveler aux causes qui l’ont fait naître ; les chevaliers, en juin 1798, le sentaient, et l’indifférence générale fut la première complice de la trahison qui ouvrit aux soldats de la Révolution les portes de la « plus forte place de l’Europe. » Le dernier vestige des Croisades disparut, ce jour-là, de la scène politique. — Du moment qu’il ne s’agissait plus que de domination maritime et d’exploitation commerciale, l’heure de la Grande-Bretagne était venue ; elle occupa Malte, le 8 septembre 1800, après un siège de deux ans, et s’en fit confirmer la possession en 1814. Elle se hâta d’y établir le siège de sa puissance dans la Méditerranée, d’y créer une redoutable forteresse, une « base d’opérations, » menaçante non plus pour les Barbaresques ou les Turcs, mais bien pour ses rivaux européens. Un siècle s’est écoulé, et, devant l’ancien palais des Grands-Maîtres, le factionnaire britannique, sanglé dans sa tunique rouge, abrité sous les larges bords du casque blanc à pointe dorée, se promène toujours, du même pas tranquille et automatique, sous l’œil indifférent des Maltais.

Toutes ces Maltes successives, toutes ces dominations qui se sont superposées dans l’archipel, y survivent dans des monumens ou dans des ruines. La vieille ville, la Città Vecchia, est perchée au centre de l’île, sur le sommet du plateau ; comme les acropoles grecques, elle domine les escarpemens abrupts d’une croupe calcaire. On éprouve, à errer dans le lacis des ruelles étroites de la Notabile, l’impression troublante que donnent les choses très anciennes, les vieilles villes d’Orient, ensevelies et mortes, mais dont tous les murs parlent et dont les moindres pierres ont un sens. Au petit musée, des outils de silex et de cuivre oxydé, des lampes, des monnaies, des statues viennent apporter le témoignage des divers âges de l’antiquité. La cathédrale de San Paolo est bâtie sur l’emplacement même de la petite grotte où la tradition veut que saint Paul ait habité et qui subsiste, très vénérée, dans la crypte de l’église. Les rues tortueuses, les maisons à terrasses, blanchies à la chaux, presque sans ouvertures à l’extérieur, dénotent la longue influence de la civilisation et des habitudes arabes, tandis qu’au détour d’un étroit boyau, trois exquises fenêtres gothiques, à colonnettes