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minces et sveltes, font penser aux plus délicates créations de l’art normand sicilien. En bas, à La Valette, dont on aperçoit les clochers et les palais, le port, l’activité commerciale donnent à la ville une animation extraordinaire ; ici, au contraire, tout semble dormir ; les Maltais enrichis par une vie d’aventures à travers le monde méditerranéen viennent s’y retirer, s’y reposer loin du bruit ; les mendians dorment au soleil ; tout est calme et immobile : Città Vecchia est un souvenir et sa poésie est celle du passé.

La Malte moderne est descendue des hauteurs et s’est rapprochée de la mer ; c’est en 1535, après le rude siège que les x chevaliers soutinrent contre Soliman, que le Grand-Maître Jean de La Valette fonda la ville qui porte son nom. Assise sur une langue de terre qui s’avance entre les deux profondes échancrures qui lui servent de ports, elle apparaît, de la pleine mer, haute et fière au-dessus des flots, avec la formidable ceinture de remparts qui l’entoure. Pour le visiteur, comme pour l’histoire, La Valette est la ville des chevaliers.

Avant-garde de la chrétienté en face de l’Islam, ils ont multiplié, autour de la ville et des faubourgs, les lignes de fortifications. Le calcaire de l’île, très tendre, facile à tailler à la hache, à diviser en blocs énormes, se prêtait à cette incroyable prodigalité d’ouvrages défensifs qui donne à La Valette un cachet si particulier : doubles et triples enceintes, fossés d’une profondeur effrayante, taillés verticalement dans le roc, courtines criblées de meurtrières, tourelles de guet suspendues au-dessus des flots, bastions énormes que flanquent d’autres bastions et que précèdent d’autres ouvrages de toute forme et de toute époque, c’est une véritable débauche de défenses, un musée de poliorcétique ancienne où les officiers du génie venaient autrefois étudier des types rares ou uniques. Les canons anciens, ceux qui ont menacé Bonaparte et tenu tête aux Anglais, ont été retirés des remparts qu’ils hérissaient d’une triple rangée de bouches à l’eu, mais l’aspect de la ville est encore si imposant que l’on comprend l’étonnement des soldats français d’y être entrés si facilement, et le mot de Caffarelli : « Il est bien heureux, disait-il, qu’il se soit trouvé dans la ville quelqu’un pour nous ouvrir les portes. »

A la cathédrale de San-Giovanni, c’est encore la gloire de l’Ordre qui resplendit ; La Valette, en 1576, a élevé l’église dans