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contrées tropicales. Je ne lui reproche, quant à moi, que d’être ; peut-être trop joli, de sembler un peu soigné et modifié par la-main de l’homme, de manquer de cette poésie intense et grandiose ; qu’ont les vierges forêts avec leurs fourrés inextricables, leurs arbres géans couverts de lianes, les bruits sinistres et étranges dont elles retentissent la nuit. Le sifflet du chemin de fer, les sentiers sous les branches, les cabanes et les rizières enlèvent pour moi à ce pays une partie du charme que j’aimerais à y chercher.


KANDY

Que dire de Kandy, si ce n’est qu’il y a un lac dans un creux de montagnes avec des arbres et des petits temples se mirant dans l’onde transparente, et que cela est délicieux ? Tout le charme de cet endroit est fait d’une poésie intraduisible, du calme, de la tiédeur de l’air, de la forme des montagnes, de la pureté des eaux. Il n’y a pas de grand spectacle qui vous saisisse et vous surprenne, pas de monumens grandioses, pas de ruines. Mais c’est une harmonie intime de la nature et du ciel, une atmosphère de nonchalance, de repos et de rêve qu’on ressent sans se l’expliquer. Et cette vallée de Kandy restera dans ma mémoire comme le lieu de prédilection où se devrait retirer celui que la vie a lassé et blessé pour y attendre la mort sans amertume et sans regret.

Il me souvient d’être sorti un soir pour faire à pied le tour du lac. Il n’y avait pas un souffle dans l’air. L’eau était blanche comme du lait, immobile et sans ride. La lune éclairait le ciel d’une lueur si vive qu’il en était presque blanc et qu’on n’y voyait nulle étoile. Les grands arbres du bord qui trempent leurs racines dans le lac y projetaient une ombre noire, et quand on sortait de sous leur voûte, on était soudain inondé d’une lumière blafarde et intense qui surprenait. Au pied d’un banian sacré, un bonze debout entretenait un grand feu. Immobile il me regarda passer, drapé dans sa longue robe jaune qui semblait rouge sous les reflets du brasier. Non loin de là le petit temple très saint qui contient la dent de Bouddha faisait une tache claire parmi les arbres de la rive. Et je compris pour la première fois, sous cette pâle lumière, auprès de cette eau tranquille, dans ce silence d’une nuit de cet éternel été, la conception religieuse de ce