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nouvelles palissades, entouré de nouveaux champs. Et on rencontre ainsi, dans toute la chaîne qui sépare le Laos de l’Annam, des quantités de villages abandonnés et déserts où il m’est arrivé parfois de chercher un abri.

Plus encore que Rangoon, Mandalay est la ville des pagodes. Il y en a des centaines, peut-être des milliers. L’une d’elles, qui occupe un énorme espace, comprend, outre la dagoba centrale, quatre cent cinquante chapelles séparées, toutes semblables, symétriquement rangées autour d’elle. Et on dirait, quand on les contemple de haut, une forêt de pierre s’étendant au loin. Mais parmi tous les sanctuaires que j’ai visités à Mandalay et qui sont, pour la plupart, intéressans à différens titres, il en est un qui est une merveille : c’est la pagode de la Reine. Les voyageurs qui la voudront voir devront se hâter. Elle est fragile et s’effrite déjà sous la pluie et le vent. On dirait que la souveraine qui l’a édifiée avait le sentiment de sa déchéance prochaine. A quoi bon bâtir pour l’avenir, quand soi-même on va périr, quand il ne restera rien de votre puissance, de votre dynastie, de vos croyances, de tout ce que vous avez aimé ?

Aussi hâtivement se fit-elle faire un bijou en bois sculpté, chef-d’œuvre de délicatesse et de grâce, trace passagère de son règne, dernier hochet de sa royauté. cette pagode est si légère qu’il semble qu’elle sera emportée au premier orage. A la partie centrale, neuf toits de moins en moins larges se surmontent les uns les autres pour finir à une grande hauteur par une pointe effilée. Deux édifices analogues et moins élevés forment les parties latérales. Une galerie circulaire avec un balcon sculpté fait le tour du monument qui est supporté par de minces colonnes, simples troncs d’arbres plantés en terre. Pas un pouce de ce bois qui ne soit ajouré comme une dentelle, ciselé comme un bijou. Les colonnes sont peintes en rouge ; les bois différens donnent des teintes différentes et les toits sont en or, Tout cela est aérien et léger. L’air y circule, le soleil s’y joue, produit des effets d’ombre qui contrastent avec des éclats aveuglans. Et vraiment cette pagode doit être une gageure ou un rêve. Le rêve d’une jolie femme qui a voulu laisser pour quelque temps après elle, dans un monument périssable, un reflet de sa grâce et de sa beauté.


Après quinze jours de vie errante sur le haut Irawady, nous