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passions, l’inanité des désirs, pour quiconque sait que toutes les joies se paient de tristesses amères et que les songes même ont leur réveil.

Pendant quatre jours, nous voguons au milieu de ces îles sur une mer idéalement pure et calme. Nous naviguons tant qu’il fait clair, puis, un peu avant le coucher du soleil, nous mouillons dans quelque baie, nous descendons à terre en canot, nous faisons dans les belles forêts sombres des voyages d’exploration. Malgré les nombreuses traces de gibier rencontrées, nous ne sommes pas favorisés comme chasse. Les fourrés sont trop épais pour qu’il soit facile d’y découvrir les bêtes sauvages qui y dorment. Du reste, nous ne nous y attachons guère. On dirait que nous avons quelque scrupule à troubler ces solitudes, à effrayer ces animaux qui ont le bonheur de vivre loin des hommes.

Enfin, nous reprenons le contact du monde civilisé en venant jeter l’ancre dans la rade de George’s Town à Poulo-Penang. Plus nous redescendons vers l’équateur, plus la température devient molle et chaude. Dans le journée, le ciel est souvent chargé de gros nuages noirs ; l’air est épais et humide ; mais les nuits sont délicieuses et relativement fraîches.

Nous contemplons, le soir de notre arrivée à Penang, un des plus beaux phénomènes de phosphorescence que j’ai vus de ma vie. La mer était comme embrasée. De véritables vagues lumineuses venaient heurter le navire et jaillissaient en mille étincelles. Des barques nombreuses accourues autour du yacht pour vendre des fruits ou des vivres, agitaient ces flots d’or, faisaient flamber devant leur étrave ou au remous de leurs rames, de longues flammes vertes. Et nul feu d’artifice, nul feu de Bengale, produits de l’industrie des hommes, ne peuvent donner l’impression féerique de cette rade immense sillonnée d’éclairs, illuminée intérieurement par les milliards de polypes suspendus dans ses eaux.

George’s Town est une grande ville chinoise et malaise s’étendant au bord de la mer et dominée par de hautes montagnes couvertes de forêts. Par une route bien entretenue, on arrive à un jardin botanique situé dans un site pittoresque et que surplombe un rocher d’où tombe une cascade. Non loin de là, l’eau est recueillie dans un bassin naturel où l’on prend des bains d’une délicieuse fraîcheur. Un sentier très bien entretenu monte dans la forêt, au milieu d’arbres couverts d’orchidées, jusqu’à