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comme Napoléon, par une attention de génie, s’y mit lui-même. A la faveur d’une telle audience, nous commençons à voir autre chose, dans le Concordat, qu’un compromis un peu factice entre deux puissances qui semblent concevoir l’entente et la paix comme une organisation de la défiance réciproque. Nous y saluons le couronnement d’un vaste désir national ; la sanction légale de l’attachement d’un pays à une foi ; l’adaptation de certaines exigences, issues de la tradition, à certaines circonstances issues de la Révolution ; la tentative, aujourd’hui centenaire, que fit une âme indestructible pour s’incarner en un corps nouveau. Nous assistons à la génération spontanée du Concordat : c’est le grand attrait de ce livre, — sans vouloir parler ici de l’intérêt singulièrement puissant qui s’y viendrait ajouter si l’on affrontait le risque de travestir l’histoire en voulant en tirer une sorte de leçon de choses pour la politique contemporaine. Mais nous ne solliciterons point M. l’abbé Sicard à intervenir parmi nos débats de l’heure présente : ses pages sereines méritent une mention sereine ; et de voir s’épanouir sous nos yeux, en plusieurs années de vie intense, cette religiosité populaire qu’avaient cruellement mortifiée la Législative et la Convention, c’est un spectacle assez inédit et d’une assez haute portée pour que nous nous fassions sincèrement, et sans furtive arrière-pensée, les contemporains de l’époque où nous reporte M. l’abbé Sicard, — de l’époque où le vieux siècle n’avait pas encore un an, où même il n’était pas encore né.


L’Église de France n’était pas seulement décimée par la guillotine ; elle était, aussi, divisée contre elle-même. Le très petit nombre d’évêques qui étaient, demeurés sur la terre natale envisageaient et jugeaient les nouveautés d’un autre œil et avec un autre esprit que ne le faisaient leurs collègues réfugiés à l’étranger. Ce qu’il y a d’« impie » dans l’exil, pour reprendre le mot du poète, c’est que d’ordinaire, quand le fugitif prend congé de sa patrie, sa montre s’arrête : le temps marche, l’exil dure, et toujours sa montre est arrêtée ; et je ne sais quelle rouille parasite, installée dans les rouages, empêchera peut-être de la remonter au retour. Exiler un homme de ce point de l’espace qui s’appelle une patrie, c’est, en quelque façon, l’exiler de ce moment de la durée qui s’appelle le lendemain ou le surlendemain ; c’est le mettre en retard sur sa génération, et c’est l’immobiliser à distance des grands courans de la vie. Ainsi advint-il à l’épiscopat émigré.

La France, pour ces prélats, se confondait avec le roi : la tradition