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qu’elles éprouvaient d’avoir des sacremens, elles détestaient les chicanes qui les en sevraient. Il y avait, çà et là, un tel besoin de se remettre à prier ensemble, qu’une sorte de sacerdoce profane s’inaugurait : un villageois, au nom de tous les autres, lisait publiquement les prières de la messe. Les proconsuls de la Convention s’exprimaient avec amertume contre ces « cultivateurs indignes d’un si beau nom, » contre ces « régens de village qui devraient donner l’exemple de toutes les vertus républicaines » et qui, tout au contraire, présidaient à des patenôtres ; était-ce la peine d’avoir affranchi l’ « Homme, » de l’avoir paré d’un bel écriteau portant le mot de liberté, pour que ce citoyen libre s’en allât tout de suite faire l’office de curé ? On citait même un diocèse, celui de Saint-Claude, où ces « chefs de paroisse » civils étaient agréés par l’autorité ecclésiastique pour diriger l’office.

De nombreux missionnaires parcouraient les campagnes, pour seconder et guider la spontanéité des laïques. « Nous éviterons, disait le Manuel des Missionnaires, ce qui pourrait indisposer contre nous les officiers publics… Il vaut mieux nous taire et souffrir en silence que de nous répandre en paroles dont le moindre mal serait l’inutilité. Nous assurerons mieux les fruits de notre ministère si nous nous interdisons absolument de parler contre les lois et le gouvernement, de parler politique, et de paraître empressés de répandre ou même de savoir des nouvelles ; si nous gardons un profond silence sur la persécution que nous avons soufferte et sur la résistance que nous y avons opposée, sur les vices et les défauts de ceux qui ont détruit le bon ordre, et sur les raisons qu’on avait de leur résister. Ces sortes de discours ne serviraient qu’à exciter des disputes, des murmures, et à nourrir des haines et des animosités qu’on ne saurait trop s’empresser d’étouffer… La même règle de prudence exige que nous soyons soumis à toutes les lois, que nous exercions les fidèles à la même soumission, et surtout que nous n’agitions pas les questions dangereuses et délicates de la légitimité des lois. » Voilà la pratique que s’imposaient les missionnaires : vivant en contact direct avec le peuple, dont ils connaissaient les susceptibilités nouvelles, ils voyaient naturellement plus clair et plus lucide que les évêques émigrés, qui depuis longtemps n’avaient pas pris la température de cette grande fiévreuse qu’était la France. Confrontez avec ces conseils du Manuel des Missionnaires la lettre où s’épanchait l’évêque de Luçon, et dans laquelle il disait : « Les nouvelles que nous recevons de France nous donnent les plus grandes espérances pour le triomphe de la religion ; mais nous ne voyons pas encore aussi clair sur le triomphe de la monarchie. »