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d’autant plus graves que l’Autriche est pour lui un pays « ami et allié.  » Nous n’avons pas besoin de signaler à l’attention ce côté paradoxal de la situation.

Lorsque l’Italie a été attirée et entraînée dans la Triple Alliance par l’habileté supérieure du prince de Bismarck, celui-ci poursuivait des buts divers. Il voulait d’abord se donner un allié de plus, ce qui n’est jamais négligeable ; mais il voulait aussi, parce que sa politique y était intéressée, obliger l’Autriche et l’Italie à vivre à côté l’une de l’autre en bonne intelligence. Il a persuadé à l’Italie qu’elle risquait d’être, à un moment donné, attaquée par l’Autriche, et que le meilleur moyen d’échapper à ce danger était de contracter, sous ses propres auspices, une alliance avec elle. Il a persuadé encore plus facilement à l’Autriche, qui n’avait aucun mauvais dessein contre l’Italie, que l’alliance lui serait profitable, puisqu’elle lui donnerait toute sécurité du côté de sa voisine, dont il serait d’ailleurs facile de détourner l’imagination dans un autre sens. En effet, on s’est appliqué à faire croire à l’Italie que le danger véritable, le seul qu’elle eût à craindre, lui venait de la France. La France était pour elle l’ennemie ! Après notre prise de possession de la Tunisie, elle en a été convaincue. M. De Bismarck, l’homme du monde qui a le mieux pratiqué le vieil axiome qu’il faut diviser pour régner, avait offert la Tunisie à la fois à la France et à l’Italie, avec d’autant plus de générosité qu’elle ne lui appartenait pas et qu’il ne pouvait y avoir aucune prétention personnelle. Au fond, il aimait mieux que ce fût la France qui la prît, parce qu’il jugeait à propos de nous assurer des satisfactions dans la politique coloniale : c’était encore, à ses yeux, une diversion utile à notre activité, qui, sans cela, aurait pu se porter ailleurs. Nous n’avons pas eu à nous plaindre de son attitude à notre égard à ce moment : elle a été bienveillante et a presque pris des apparences cordiales. Mais, à la manière dont il avait arrangé les choses, il était inévitable que la Tunisie fût occupée par l’Italie ou par nous, et, que l’affaire tournât dans un sens ou dans l’autre, le résultat qu’il poursuivait était obtenu, la France et l’Italie étaient brouillées pour un certain nombre d’années, et la seconde devait se rattacher plus étroitement, plus intimement, plus aveuglément à une alliance qu’on lui présentait comme une sauvegarde dans le présent, et un instrument de revanche dans l’avenir. Pendant ce temps l’Autriche était parfaitement tranquille, du moins en ce qui concerne l’Italie, et c’était là une des fins de la politique allemande, qui avait besoin de l’Autriche pour d’autres vues. L’irrédentisme italien, lorsqu’il