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s’éveillait, portait les siennes sur certains points où le maintien du statu quo n’était pas seulement un intérêt autrichien, mais un intérêt germanique. Nous voulons parler de Trieste, qui est le débouché sur la Méditerranée du germanisme tout entier. Il n’est pas probable que Trieste tombe un jour quelconque entre les mains de l’Italie avec le consentement de l’Allemagne : la réalisation d’une telle éventualité est impossible, à moins de bouleversemens dans le monde qui échappent pour le moment à toutes les prévisions. Quoi qu’il en soit, les calculs de M. De Bismarck, conçus avec la force de prévision qui caractérisait son robuste esprit, se sont réalisés de point en point. L’Italie et l’Autriche ont vécu longtemps côte à côte sans se rappeler qu’elles pouvaient avoir des intérêts opposés. L’Autriche était tout absorbée par sa politique intérieure, la plus compliquée qui soit en Europe ; et l’Italie s’appliquait, avec une activité très appréciée à Berlin, à hérisser de fortifications sa frontière du côté de la France. Cela lui a coûté beaucoup d’argent et nu servira vraisemblablement jamais à rien. En revanche, sa frontière est complètement dégarnie du côté de l’Autriche, et nous espérons qu’elle n’aura jamais à le regretter. Elle a jugé que la Triple Alliance était pour elle une garantie suffisante. Soit : mais alors il ne faut pas se laisser gagner par de nouvelles crises d’irrédentisme. Il faut couper à tout prix cette fièvre dans le présent, et suivre un régime sévère pour en empêcher le retour.

De plus en plus, l’Italie se rassure en ce qui concerne la France. Elle a reconnu, elle a senti la sincérité des assurances que nous lui avons données, et le prochain voyage du roi Victor-Emmanuel à Paris est une manifestation nouvelle de cette confiance qui, nous n’en doutons pas, ira encore en s’affermissant. La Triple Alliance subsiste : mais l’atmosphère où elle était née, ou plutôt dont elle était née, est aujourd’hui modifiée dans quelques-uns de ses élémens essentiels, et l’orientation des esprits s’en est aussi trouvée changée. Il serait disproportionné d’expliquer par-là l’accès d’irrédentisme qui s’est emparé de l’Italie, et dont il ne faut pas grossir l’importance : mais nous constatons des symptômes, sans avoir la prétention de prédire ce qui en sortira, ni même s’il en sortira quelque chose, au moins de sitôt. L’avenir est incertain ; le présent ne ressemble plus de tous points au passé, et visiblement le monde mue. La situation de l’Orient est de nature, elle aussi, à donner sous peu des préoccupations à la diplomatie. Peut-être le mouvement macédonien avortera-t-il pour cette année ; mais il renaîtra. L’Europe a raison de reculer devant ce problème que les révolutionnaires bulgares vou-