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présentent les idées de ce genre. Il veut alors l’imposer atout le monde et ne recule pour cela devant aucun moyen.

Le succès a jusqu’à ce jour paru justifier ses audaces. Non seulement il a fait marcher son parti comme il l’a voulu, mais le parti adverse, le parti libéral lui-même, a subi son influence, et on a vu des libéraux, parmi les plus illustres, faire avec lui assaut d’impérialisme. Quelque opinion qu’on ait sur son compte, il faut avouer qu’il a mis très profondément sa marque personnelle sur son pays, au point de le rendre méconnaissable. Impérialiste et révolutionnaire avec M. Chamberlain, l’Angleterre a changé toutes les idées qu’on avait sur elle. Cependant elle est restée libre-échangiste : depuis plus d’un demi-siècle les principes du libre-échange règnent sur elle. C’est que les Anglais sont gens pratiques ; ils ne jugent pas un système en lui-même, mais d’après ses résultats, et les résultats du libre-échange ont rendu leur pays le plus riche du monde. Nous ne prenons pas en ce moment parti pour une doctrine. Il est possible qu’un système économique convienne à un pays et non pas à un autre, et qu’il n’y ait pas ici de vérité absolue. Mais qui pourrait nier que le libre-échange n’ait merveilleusement servi à la prospérité de l’Angleterre et à sa grandeur ? Il y a bien peu de temps encore, aucun Anglais, à quelque parti qu’il appartint, n’aurait osé en mettre en doute les avantages. C’est pourtant ce que M. Chamberlain a fait dans un discours qu’il a prononcé à Birmingham le mois dernier. Sans doute, il n’a pas attaqué de front le libre-échange ; il n’a pas dirigé contre lui une attaque directe ; mais il a dessiné devant les yeux émerveillés de son auditoire un vaste plan d’union douanière dans lequel entreraient toutes les colonies anglaises, en vue de resserrer les liens, trop lâches à son gré, qui unissent les membres d’un empire immense, prodigieux, éparpillé sur toute la surface du globe, et qui a besoin de prendre une conscience plus ferme de son unité. A dire vrai, ce besoin ne s’était nullement fait sentir jusqu’à ce jour. On admirait dans l’empire britannique la liberté dont chacune de ses parties jouissait, la variété d’institutions qui en résultait avec un fond commun de self-government qu’on retrouvait partout, la diversité qu’on relevait dans les tarifs douaniers comme ailleurs, et, malgré cela, ou à cause de cela même, la solidité de cet édifice, le plus imposant qu’on ait encore vu dans l’histoire du genre humain.

Mais ces apparences ne satisfaisaient pas M. Chamberlain. On savait déjà qu’il était unioniste ; on ne savait pas à quel point il l’était ! Il a quitté autrefois le parti libéral parce que M. Gladstone