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en retraite, et M. Chamberlain restait un peu comme une épave abandonnée.

Que fera-t-il ? Les journaux ont parlé de sa démission ; mais il ne semble nullement disposé à la donner. S’il renonce aux idées qu’il a exposées avec tant de fracas, il sera très diminué. S’il n’y renonce pas et s’il prépare en leur faveur un retour offensif, le ministère sera disloqué. Au fond, M. Chamberlain n’appartient à aucun parti. Il a quelque chose de personnel, de volontaire et de dominateur qui le rend impropre à toute discipline, si ce n’est à celle qu’il impose. Il a désagrégé le parti libéral en le quittant : peut-être finira-t-il par désagréger le parti conservateur où il est entré.


Dans la nuit du 10 au 11 juin, un drame épouvantable a eu lieu à Belgrade. Le roi Alexandre, la reine Draga, les sœurs de la reine, dit-on, et certainement son frère, le lieutenant Lougnévitza, plusieurs ministres, d’autres personnes encore, — car la liste funèbre reste ouverte, — ont été assassinés. La nouvelle s’en est répandue le lendemain dans le monde entier, où elle a causé plus de stupeur que de véritable étonnement. L’acte sauvage qui vient d’être accompli à Belgrade ne saurait être trop sévèrement flétri au nom de la morale éternelle qui condamne le meurtre et ne saurait l’excuser en aucun cas. Mais il faut bien dire que le roi Alexandre est allé lui-même au-devant de sa destinée. C’était un être peu intelligent, déséquilibré, faible de caractère, violent par accès, et susceptible par tous ces défauts de tomber sous la pire des dominations. Il a subi, pour son malheur, celle d’une femme ambitieuse, la reine Draga, qui l’a conduit droit à sa perte. Il a été aussi la victime de son éducation première, dont nous ne voulons rien dire pour ne pas augmenter la douleur de sa mère, qui doit être respectée. Quant à son père, le roi Milan, nous avons assez souvent parlé de lui. Il aurait fallu une tête plus saine et une conscience plus ferme que celle d’Alexandre, pour résister aux exemples et aux scandales qu’il a eus tout jeune sous les yeux. Son règne a été une prodigieuse manifestation d’incohérence, mêlée de coups de force. Il n’avait que vingt-sept ans : la Serbie était condamnée avec lui à un supplice qui pouvait durer longtemps, et, par surcroît d’aberration, il s’était donné, dit-on, pour successeur ce frère de la reine, ce lieutenant Lougnévitza, qui devait périr avec lui. Ses défauts et ceux de la reine n’étaient pas corrigés par de la bonté. On sentait chez l’un et chez l’autre des dispositions à cette sorte de dureté qui accompagne souvent les désordres moraux. Un complot militaire