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Japonais et qu’il faut noter pour bien comprendre le rôle brillant joué par leurs troupes pendant cette campagne, c’est le mépris profond qu’officiers et soldats professent pour la mort. Ce sentiment prend son origine dans l’histoire des rudes luttes qui, pendant de si longues années, ensanglantèrent les Iles du Soleil Levant, histoire pleine des faits d’armes héroïques des samouraïs, « les nobles ou les guerriers, » chez lesquels, de père en fils, les familles se transmettaient comme un précieux héritage le culte de l’honneur, du dévouement aux chefs, et de tout ce qui touche au métier des armes, comme l’amour des combats rapprochés, de la mêlée, des corps à corps individuels, à l’arme blanche. Les exemples fourmillent, dans le récit de ces luttes, de détachemens chargés de la défense d’une citadelle, ou de quelque point important, poussant la résistance jusqu’à l’extrême limite, puis aimant tous mieux périr que de tomber entre les mains de l’adversaire ; de chefs et de soldats, dans un combat, préférant la mort, qu’ils se donnaient eux-mêmes en s’ouvrant le ventre selon les rites barbares du « harakiri, » à la honte de la défaite !

Une armée qui marche au combat, le moral soutenu par le culte de pareilles traditions, qui compte à sa tête une pléiade d’officiers remarquables par le savoir professionnel, sans cesse à la recherche du progrès et qu’anime un grand esprit de patriotisme, a sa place marquée au nombre des grandes armées du monde. Aussi, pénétrés de tels sentimens, il importait peu à nos frères d’armes de l’Extrême-Orient d’acheter, dans certains cas, la victoire au prix du sacrifice d’existences qui eussent peut-être pu être épargnées. « Ne disposaient-ils point, disaient-ils. dans leurs causeries avec les officiers français, ne disposaient-ils point, à proximité du théâtre d’opérations, d’une réserve inépuisable d’officiers et de soldats dont l’ardent désir était de donner leur sang pour la gloire et pour la grandeur de leur pays ? » C’est là également le rêve de tout soldat français, leur répondait le général Frey ; cependant, ajoutait-il, — non dans un esprit de critique, mais pour expliquer le soin avec lequel, dans certaines délibérations générales ou dans ses ordres de combat, il préconisait les opérations ou prescrivait les dispositions permettant d’obtenir les meilleurs résultats avec le moins de pertes possible, — son devoir de chef lui imposait d’être ménager, avare même du sang de ses hommes, autant pour des considérations d’humanité que parce que chaque soldat français représente, à