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et bien élevée. Il est vrai que c’étaient les endroits chers, les bateaux des gens riches, et qu’à l’extrémité de cette ville flottante, il y a quelques bouges sales et vermoulus, lieux de débauche à bas prix pour la prostitution des basses classes, les coolies et les mariniers.

Justement un de nos compagnons rencontre le comprador d’une grande maison de soieries qui donne une fête à ses amis. Il nous invite à entrer et nous fait asseoir à une table que recouvrent d’innombrables petites assiettes remplies d’innomables choses. Quelques-uns goûtent à tout cela. Je me contente d’une tasse de thé qu’une dame aux joues peintes me verse d’un air grave. Les invités semblent faire peu d’attention à nous, fument ou causent, jouent aux dominos. Dans un coin, deux aveugles raclent des violons qui grincent, et une jeune fille assez gentille — pour une Chinoise — chante une complainte lente et mélancolique.

Longtemps nous errons de bateau en bateau, franchissant, dans l’obscurité, sur des planches mal jointes, des trous béans où clapote le fleuve. Enfin nous reprenons notre barque qui nous ramène aux concessions, emportant un souvenir étrange de cette visite nocturne, une impression presque pénible de ces lieux de plaisir triste. Et nous sentons, comme toujours en Chine, qu’il y a des choses qui nous échappent, qui sont trop différentes de nos pensées, de nos usages et de nos mœurs, dont nous sommes trop loin, en un mot, pour les comprendre ou les juger.


MACAO

Nous redescendons de jour le fleuve que nous avions remonté la nuit. Les rives sont basses et bien cultivées. On voit de nombreux villages où des toits de pagodes pointent dans la verdure. Des arbres fruitiers en fleurs semblent frissonner dans le brouillard et, à l’horizon, des montagnes peu élevées se dessinent avec ces formes étranges et un peu grotesques qu’elles ont sur les paravens. A mesure que nous approchons de la mer, le temps s’éclaircit et il fait tout à fait beau quand, vers les quatre heures du soir, nous mouillons devant Macao.

Au matin, une chaloupe à vapeur du port vient nous chercher, car, à la distance où nous sommes de terre, il serait imprudent de nous risquer sur notre petit launch. Une heure après,