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vent. — Par une trouée entre les arbres, voici Nagasaki qui s’étend à nos pieds, la ville toute blanche, la rade sinueuse et calme sillonnée de bateaux et, là-bas, entre les montagnes violettes, par un goulet étroit, un petit coin bleu de la mer…


Chez un bric-à-brac : Dealer in curious, car les enseignes sont en anglais au Japon ! Un magasin joli, élégant, propre, avec, par terre, des nattes sur lesquelles on ose à peine marcher ; des sabres, des cuirasses, des bibelots, des ivoires, des bronzes, des laques, un entassement de choses vieillottes, vraies ou fausses, artistement rangées. J’ai circulé là-dedans une heure durant, tout tripoté, tout marchandé ; tout est hors de prix ; je n’ai rien acheté. Le marchand me reconduit jusqu’au pas de sa boutique, s’incline jusqu’à terre, sourit, me remercie de ma visite, me souhaite bon voyage. L’homme de mon djinriksha s’incline aussi, chapeau bas, d’un air engageant me fait signe de monter en voiture et continue, le sourire aux lèvres, de me traîner en courant par les rues.


Le soir dans une maison de thé. Nous sommes accroupis par terre sur des coussins dans une grande salle aux murs en papier. Nous avons dû laisser nos souliers à la porte et marcher en chaussettes. Ainsi le veut l’étiquette, de peur de maculer l’exquise propreté des escaliers et des nattes. Devant nous un tas de petites choses : une tasse à thé microscopique, une tasse de saki, un gâteau dans une soucoupe, une mandarine soigneusement épluchée dans une autre, un petit brasero pour me chauffer les mains, un autre pour allumer ma pipe, un tube en bambou pour mettre la cendre. Des mousmés vont, viennent, tombent à genoux et se prosternent, changent les oranges, versent du thé, rient tout le temps. — Dans un coin, des musiciens jouent de la guitare, frappent sur des tambourins. Des « geishas » en grand costume avec des fleurs dans les cheveux dansent des danses du pays. Elles ont onze, douze, treize ans, sont hautes comme ma botte, toutes mignonnes et fluettes, rient quand elles ne dansent pas, car alors elles sont sérieuses, très sérieuses, prennent des mines de chattes impayables, ne plaisantent pas avec leur art.


C’est par un temps effroyable que nous parcourons la mer intérieure. De gros nuages noirs traînent sur les flots ; une