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brume épaisse obscurcit l’air ; et il tombe de l’eau, des torrens. De temps à autres, nous côtoyons une île, de tout près, à la toucher. Alors c’est la vision rapide et vague d’arbres et de vergers, de petits villages très propres sous la pluie qui les inonde, de cerisiers fleuris, l’air étonnés de se trouver là, sous cette ondée, dans ce brouillard opaque, sous ce ciel anglais.

Le soir il nous faut jeter l’ancre. Il fait froid ; chaque minute, la cloche du bord tinte comme pour un glas alternant avec celle d’un autre navire mouillé aussi quelque part, non loin de nous, dans la nuit. D’une île voisine viennent des bruits de gongs, de chants ténus, de voix humaines. Puis c’est une lueur à peine perceptible, qui passe, se sauve, s’éteint. Quelque Japonais attardé courant sous l’ondée avec sa lanterne, sa jolie lanterne en papier qui doit être toute trempée…


OSAKA

Osaka est en fête aujourd’hui, soit à cause des cerisiers en fleurs, soit pour un autre motif, soit sans motif aucun, parce que les Japonais sont gais et qu’il y a fête chez eux toute l’année, Sur les places publiques, dans le voisinage des temples, des baraques foraines sont dressées, où l’on montre de mirifiques choses, où l’on joue à des jeux drolatiques et bizarres. Ici c’est un lutteur qui dompte à mains plates un poney prétendu féroce. De grands panneaux peints montrent près de la porte ce que sera le combat. Un cheval se dresse, les naseaux écumans, les oreilles couchées sur l’encolure, battant l’air de ses pieds de devant, pendant qu’un homme l’étreint pour le terrasser. La réalité est moins effrayante : une pauvre haridelle de cirque, épuisée et domptée d’avance, fait des simagrées et des bonds de commande pour se laisser tomber enfin par fatigue et par habitude sur un geste de son adversaire. De temps à autre le rideau qui ferme la salle du côté de la rue se soulève, laisse entrevoir à la foule amassée un instant palpitant du combat, puis retombe ayant fait son office de réclame et de boniment.

Plus loin, ce sont des lutteurs, des gymnastes, des équilibristes fort adroits du reste. Puis des tirs à l’arc où des mousmés aguichantes ont toutes les qualités et les défauts des demoiselles peu farouches des tirs à deux sous de nos foires. Dans une baraque voisine, des singes domestiqués font des tours. Dans une