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lotus, des roses d’or. Et toujours ce mot d’ « or » revient dans chaque phrase comme un « leitmotiv » quand on veut décrire ces monumens japonais. C’est en effet un des caractères qui vous frappent que cette richesse d’ornementation, cette splendeur des détails dans la pénombre voulue des salles, ces éclats métalliques qui tirent l’œil, au milieu de sombres choses, dans des recoins cachés. On rencontre des endroits solitaires où une petite lampe brûle devant un autel. On entrevoit des peintures et des laques, des sculptures encore et des porcelaines, des bronzes et des dragons.

Quand on sort de là on trouve un jardin délicieux, une miniature de petit jardin, qu’on n’avait pas aperçu tout d’abord. On s’y arrête, ému du contraste, charmé de l’air pur et de la lumière, des rayons du soleil qui jouent dans les branches. Dans une pièce d’eau minuscule, de grosses carpes attentives guettent le passant, s’avancent en bataillons serrés quand on frappe dans ses mains. Au-dessus, de grands arbres se penchent, cèdres séculaires aux troncs couverts de mousse, camélias aux larges fleurs rouges, bambous verdoyans dont les feuilles légères tremblent au moindre vent.


Dîné un soir dans un restaurant japonais. La fête a été organisée par le secrétaire particulier du gouverneur qui a tout commandé. Toujours la cérémonie du déchaussement, bien entendu. Nous passons devant une salle commune où des gens assis par terre dînent comme au café Anglais, et nous nous rendons dans le cabinet qui nous est réservé. Des coussins nous attendent disposés sur les nattes à côté de grandes chandelles de cire. On apporte à chacun une petite table en laque rouge haute de dix centimètres, large de vingt. Dessus, dans un bol, une soupe où nagent une foule de choses, une tasse minuscule pour le saki, un plat contenant des morceaux de poisson cru et des boulettes de riz, enfin deux petites baguettes dont nous nous servons maladroitement. Nous pignochons au hasard dans tout cela. C’est exécrable mais très amusant. Des geishas, de douze à quinze ans, en grand costume, avec leurs jolies coiffures compliquées constellées de fleurs, sont à genoux devant chacun de nous, versent au moindre signe du « saki » qu’on tient toujours chaud dans des bouteilles de porcelaine. Chaque fois elles font un grand salut.