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décorations, parfois la figure balafrée d’une blessure de la dernière guerre, l’air militaire malgré l’obligatoire sourire. Toutes les femmes du corps diplomatique au complet : la jolie Américaine Miss T… la belle Mme de V… De l’ambassade d’Allemagne, etc. Quelques Japonaises en costume européen, très laides et très gênées. D’autres, gentilles, dans le kymono national, des kymonos très simples, noirs avec des revers blancs, tel qu’il est de bon ton de les porter dans la haute société. Comme langue générale, le français ou l’anglais, mais aussi du japonais, du chinois, du russe, de l’italien, de l’espagnol, de tout.

A côté de moi deux Japonais très importans se saluent beaucoup en causant. Je ne comprends pas, mais je commence à être assez au courant des mœurs du pays pour deviner, en partie, ce qu’ils disent : « Oserai-je lever mes yeux de ver de terre vers l’éclatant soleil de votre visage ? — Par suite de quelle félicité ma très humble personne a-t-elle le prestigieux bonheur de rencontrer votre admirable, unique et magnifique seigneurie ? — Ma très modeste, très insignifiante et très vulgaire femme met ses hommages aux pieds de votre délicieuse, adorable, étincelante moitié. » Ainsi parle-t-on quand on est bien élevé.

Avant le cotillon, dans les salons du premier étage, un souper par petites tables. On mange de bonnes choses, du foie gras et des truffes, à l’européenne, sans petits bâtons.


20 avril. — Déjeuner à l’ambassade de France. On part à deux heures pour se rendre dans un des jardins de l’Empereur où a lieu la fête des Cerisiers. Nous sommes affublés de redingotes zébrées de plis dans le dos et de chapeaux hauts de forme achetés au poids de l’or à Yokohama. Tout le corps diplomatique au complet et les Japonais importans.

3 heures. — Le cortège fait son entrée. En tête l’Empereur dans un costume qui rappelle celui de nos officiers d’artillerie ; assez grand, barbu, marche les pieds en dedans, rend comme un automate les saluts que nous lui faisons. L’Impératrice, en toilette européenne, l’air d’une petite momie, d’une poupée mal attifée. — Des princes ensuite, en costumes militaires, et des princesses, toutes embarrassées dans leur déguisement européen, sauf la princesse K… en robe rouge, charmante. Tout ce monde fait le tour des jardins, sous les cerisiers doubles, précédé de chambellans en bas de soie et en habits à la française. Il fait