Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/189

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LE THÉÂTRE DU PEUPLE


I. — LE PAYS

La vallée de la Moselle, plus étroite et plus sauvage à mesure que la rivière se rapproche de sa source, semble, pour le voyageur qui la remonte, mourir au pied d’une montagne massive, barrant au sud tout l’horizon. C’est le ballon d’Alsace, géant d’une race humble et amollie, au regard des Alpes blanches qu’il salue de loin, à l’autre bout du ciel, par les matins clairs. Il se dresse, serré jusqu’aux épaules dans la robe de velours, que lui font les forêts de sapins ; sa tête dénudée domine, au-dessus la chaîne des Vosges, d’un côté la Lorraine et le moutonnement de ses bois, la Franche-Comté et ses étangs qui miroitent, les monts bleuissans du Jura ; de l’autre, vaste et gai verger où brillent de soigneux villages, la fertile Alsace et la plaine du Rhin, jusqu’à la Forêt-Noire.

Cependant, parvenu au pied de la montagne, on découvre à gauche un passage par où la petite rivière tourne et remonte vers l’Est, entre le chemin de for et la route qui la côtoient, jusqu’à un gros village, Bussang, le dernier de la frontière. Le train, essoufflé de son effort, s’y arrête, pour redescendre ensuite le trajet qu’il a parcouru ; la rivière se faufile pendant deux ou trois kilomètres encore, se perd sous les cailloux, se retrouve au bord d’une scierie et d’un vieux moulin, puis se divise en quelques minces filets, qui glissent à droite et à gauche des pentes de la montagne : l’un d’eux, qui jaillit dans une prairie, se vante d’être la source authentique de la Moselle, par la vertu d’un écriteau. La route la dépasse ; par un col aux arêtes nettement découpées, elle franchit un souterrain que marque, à mi-longueur, la borne où deux petites lettres, séparées à jamais