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accidens du ciel, de la vie qui chantonne, à mi-voix, un air discret ; la douleur, comme la joie, s’y exprime en peu de paroles, avec l’unique refrain que donne à tout la mort.

Dans ce village à cent vingt lieues de Paris, il n’y a ni casino, ni théâtre, ni journal, ni cercle littéraire, ni société artistique ou morale. Une fanfare qui joue, les dimanches d’été, sur la place, et organise un concert et un bal en hiver, voilà — avec quelques rares vieux airs, d’un tour plus malicieux que poétique, et quelques récits en patois, débités pour exciter le rire pendant les longues veillées de Noël, — tout ce qui représente l’art.

C’est là que fut fondé, il y a bientôt huit ans, le théâtre en plein air qui prit le premier ce nom de Théâtre du Peuple.


II. — UN THEATRE DU PEUPLE, TEL QU’IL POURRAIT ÊTRE

Théâtre du peuple… Il n’est de si bons titres qui ne soient périlleux : plus on les souhaite larges, généreux, indépendant, pour signifier une œuvre conçue en dehors de toute formule et de tout parti, plus on s’expose à les voir mal interprétés, au gré des passions du moment et des intérêts particuliers. — Celui-ci, (qui d’ailleurs se trouva venir de Michelet et de la Convention, sans qu’on le leur eût pris) fit fortune ; mais peut-être n’eut-il tant de succès que parce qu’il fut mal compris, ou du moins autrement qu’on ne l’avait d’abord prononcé.

L’équivoque est née du mot Peuple. Ceux qui l’employèrent y entendaient tout ce qui, dans la diversité des esprits et des classes, compose une nation (populus) ; on traduisit presque partout au sens restreint du mot, populaire (plebs). Un tel théâtre devait être, idéalement, le lieu pacifique où le drame eût retrouvé, en un cadre élargi par la nature, devant un public rajeuni par l’apport d’élémens neufs, libres encore de toute habitude et de tout parti pris, la destination primitive, peut-être la seule légitime, de l’art dramatique : réunir les hommes dans une émotion commune, capable d’éveiller en eux une réflexion sur leur destin. Mais, en en reprenant le nom, on y vit surtout un théâtre pour les prolétaires, opposé au théâtre aristocratique ou bourgeois. Au lieu de l’œuvre la plus générale — puisqu’elle s’adressait à tous les hommes d’un même pays sans en exclure aucun, — on ne rechercha qu’une entreprise généreuse, sans doute, mais spéciale et restreinte, tout autant que le théâtre en face duquel elle