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se dressait : car, répétons-le encore, un public uniquement composé d’ouvriers ou de paysans, le nombre en fût-il de cent mille, n’en est pas moins un public spécial et restreint, de même qu’un public de cent hommes de lettres ou de cent professeurs. Ce n’est pas le nombre qui importe, c’est la diversité. Un peuple est mieux représenté en son ensemble par une réunion, même modeste, comprenant des pauvres et des riches, des ignorans et des raffinés, que par une multitude composée uniquement de « gens du monde » ou de travailleurs manuels.

Il ne s’agit pas d’ailleurs d’imposer une formule, nouvelle ou retrouvée, qui ferait fi de toutes les autres et prétendrait apporter au monde dramatique une vérité définitive. Le Théâtre du Peuple n’a point la prétention, ou la naïveté, de vouloir remplacer le théâtre contemporain, tel que l’a produit dans les villes une évolution fatale de la pensée et des mœurs. Il y a place dans l’art, comme il y a place dans la vie, pour toutes les manifestations sincères de l’esprit, qui raisonne, et du génie, qui crée. Théâtre de distraction, — de digestion, comme on l’a dit — ou théâtre de raisonnement et d’éloquence ; théâtre à thèse, collaborant au Code, à l’hygiène et aux réformes sociales, comme on le voit maintenant ; comédies et tragédies bourgeoises, drames empanachés, et jusqu’aux grimaces railleuses qui contractent les pantins du vaudeville, — sachons en toutes ces manifestations reconnaître la part du talent et respectons en elles une triple utilité sociale, qui est de donner de l’agrément à l’existence, de la renommée aux auteurs, et de la matière aux chroniqueurs.

Quant à cet autre théâtre récent, qu’il faut appeler le théâtre populaire ou le théâtre à bon marché, puisqu’il a pour ambition de procurer à ceux que la fortune en privait les jouissances réservées à un petit nombre, il est aussi fort justifié ; et il a le mérite, — quoique parfois la politique le gâte, — d’être issu d’une pensée généreuse et qui a sa noblesse. Au lieu de le combattre, on ne peut que l’encourager, en essayant de régler ses efforts et de mettre en ses essais un peu d’ordre et de cohérence.

Mais à côté de ces théâtres, nés dans les villes, adaptés au goût et aux besoins des villes, n’y a-t-il pas place pour une forme de spectacle plus vaste, plus aérée, dirions-nous, — où la nature se mêlerait à l’action humaine, où la foule, composée d’élémens divers, apporterait un esprit moins affiné, mais aussi moins prévenu et capable d’émotions simples, sincères et fortes ? Un tel