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prédications bonnes pour la chaire et pour l’école : l’art abdique à s’y vouloir risquer.

Or, je crois que si un théâtre, tendant vers cet idéal, a quelque chances de le réaliser et de l’imposer au public, c’est en se plaçant dans des conditions matérielles toutes différentes de celles où se trouve aujourd’hui engagé le théâtre des villes. Ici les auteurs et les directeurs se sont formé, pour la plupart, une conception scénique qu’ils ne sont guère disposés à modifier : le public, de son côté, apporte ses habitudes, ses préjugés et ses conventions, ou plutôt il les retrouve dans l’aspect familier d’une salle, dans les plis des tentures et le geste figé des cariatides. Si l’on imagine qu’un essai de cet art puisse réussir exceptionnellement à se produire et à triompher dans le milieu même et avec les élémens qui servent aux exercices scéniques en faveur, ce ne sera pas pour un long temps : une entreprise ainsi établie subirait très vite l’évolution nécessaire qui a amené au point où il se trouve tout notre théâtre contemporain. — Il en serait de même, et pis encore, d’un théâtre à l’usage des prolétaires, constitué sur le modèle des théâtres bourgeois et n’en différant que par le prix des places et le recrutement de la clientèle. Si le goût de ce public, dont la culture est encore nulle ou très grossière, n’est dirigé par celui d’esprits déjà affinés, discernant dans une œuvre les qualités de pensée et de style, c’est-à-dire la beauté véritable, de ce qui n’en est que la parodie, il est fort à craindre que de concessions en concessions, un théâtre populaire de ce genre ne recrée assez promptement l’esthétique de l’Ambigu. Je le sais, et les critiques les plus autorisés viennent de le découvrir : ce public n’est pas si indifférent qu’on l’avait cru aux chefs-d’œuvre ; Andromaque l’émeut et Tartuffe l’a enthousiasmé. Mais ne feignons pas d’oublier cependant qu’il montre, lui si naïf et si friand de spectacles, le même enthousiasme aux plus mauvaises productions du mélodrame ou du café-concert.

Pour conquérir l’indépendance d’action qui lui manque et pour rester fidèle à sa conception artistique, ce théâtre devra associer aux élémens nouveaux de sincérité, de fraîcheur et de passion que lui apportera la foule, ceux de raison, de finesse et de critique que représente l’élite cultivée. Et pour parvenir à mêler ces élémens divers, à les fondre l’un avec l’autre, il faut les attirer à des spectacles présentant un caractère de fête et