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métier d’être comédiens et qui, quand les représentations sont terminées, retournent à leurs études ou à leur labeur habituels.

Et par acteurs populaires, entendez — comme il a été dit pour le public, — qu’il s’y trouve des personnes de fortune, de conditions et de culture très variées, et non pas seulement des paysans : on y peut voir un chef d’usine à côté de ses ouvriers, un professeur, un employé, un officier, des étudians, un boulanger, un écrivain, etc. Même variété du côté des femmes. C’est dans cette variété que réside sans doute la véritable valeur démocratique de ce théâtre ; c’est elle qui lui assure l’influence sociale la plus directe, à laquelle il puisse prétendre. Cette influence peut naître de deux causes :

1o  L’éducation des acteurs par les études de la pièce. Leur intelligence trouve à s’exercer non seulement sur le texte de l’ouvrage, qui ouvre leur esprit à des idées, à des connaissances et à des sentimens nouveaux, mais dans la composition des rôles, — les modèles étant pris dans la vie idéale ou réelle et mettant en jeu les facultés d’observation, — et même dans le petit travail, fait en commun et toujours raisonné, de la mise en scène.

2o  Le contact renouvelé et la fusion d’êtres que la dissemblance des conditions sociales tient séparés dans le courant de la vie et qui chaque jour, pendant quelques heures, partagent fraternellement le même labeur et le même plaisir. Les répétitions se font chaque soir, à partir du mois de juillet, sur la scène du théâtre, à la lumière d’une rampe d’acétylène qui supplée à l’insuffisance du clair de lune. Malgré la fatigue et parfois l’énervement du travail, elles ont un caractère de gaîté et d’intimité infiniment plus efficace que toutes les conférences sur la paix et l’union. Il y a là trente ou quarante êtres humains, jeunes pour la plupart, qu’aucune pensée d’intérêt ne rassemble (puisque les acteurs jusqu’à présent ne sont pas rémunérés) ; chaque soir, ils sacrifient quelques heures d’un repos bien gagné pour préparer une fête, dont leur seule récompense est d’être les héros. Les distinctions sociales, au moins en ce qu’elles impliquent d’hostilité, de mépris et d’envie, s’effacent : une familiarité à peu près complète et aisée finit par s’établir entre tous. C’est à celui qui a la direction de cette troupe de chercher à rendre le travail le plus clair et le moins fastidieux possible, à ménager les forces, à ne pas blesser l’amour-propre, à ne réclamer de chacun que ce qu’il peut donner d’après ses moyens et par sa