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volontiers vers les gros effets et les fortes enluminures, qu’elle préfère la farce à la comédie, et à la tragédie le mélodrame. Et comment en serait-il autrement pour des esprits où la culture du goût n’a jamais pu régler les élans de l’instinct et en qui la rudesse de l’existence n’a développé que des sentimens primitifs et des notions intellectuelles encore rudimentaires ? La question ne se pose donc pas de savoir si ce public a plus de penchant pour les œuvres où nous reconnaissons nous-mêmes la plus haute forme de l’art, que pour des œuvres médiocres, qui sacrifient tout souci artistique à la préoccupation d’exciter le rire ou les pleurs par les moyens les plus directs (ce point ne fait aucun doute pour ceux qui ne se payent pas d’une illusion, même fort désintéressée) ; mais si, les œuvres d’art véritable étant, par quelques points au moins, reconnues comme accessibles à ce public, il est bon et juste d’en répandre la connaissance et d’en fortifier le goût. À quoi, il faut répondre affirmativement, non seulement dans l’intérêt du public, mais aussi dans l’intérêt de l’art dramatique ; car cet art, à rester le privilège d’un petit nombre, ne peut que se corrompre et s’épuiser, par excès de raffinement ; tandis qu’il doit viser, s’il est fidèle à son origine et s’il veut justifier son existence sociale, à être accessible au plus grand nombre possible d’hommes sincères et non blasés, pour les émouvoir et les faire réfléchir. Et la variété des esprits et des consciences auxquels il s’adresse est pour lui une condition de renouvellement.

Ce point admis, on est amené à se demander quelles sont parmi les œuvres où le souci artistique n’est pas sacrifié à la préoccupation d’un succès ni d’un profit immédiats, celles qui peuvent être présentées à ce public : j’entends avec utilité pour lui et sans inconvénient pour elles, parce qu’il est dès maintenant capable de les entendre et qu’elles ne risquent pas d’être entièrement méconnues ou trahies ; — et quelles sont celles qu’il convient d’écarter ou du moins de réserver, comme trop peu accessibles encore à la sensibilité et à l’intelligence des spectateurs.


V. — LE RÉPERTOIRE

Cette question du répertoire n’est pas la moins importante, quoique souvent ceux qui s’occupent du théâtre populaire ou du