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de tous les spectateurs. Contentons-nous que chacun y prenne l’émotion dont il est capable et s’en fasse l’interprétation que son intelligence lui permet : pourvu que sa sensibilité soit sincère et son intelligence mise en jeu.

Sans doute une expérience comme celle-là, tentée avec une œuvre étrangère, dont les particularités ethniques et chronologiques obligent un auditoire populaire français à un effort intellectuel assez grand, ne saurait être reprise tous les jours. Le Théâtre du Peuple n’abandonnera donc pas son répertoire ordinaire de pièces françaises, voire rustiques et provinciales. Mais il doit, pour faire œuvre qui compte et prendre, dans le mouvement dramatique, la place à laquelle il peut prétendre, élargir le cercle de ses tentatives, en les mesurant à ses forces, et ne pas perdre de vue, par désir du succès immédiat, l’idéal d’universalité qui assure à l’art la durée et la grandeur.

Il pourra donc encore faire appel, dans la suite, aux grandes œuvres du génie humain pour grossir son répertoire : l’essentiel est que ce choix ne soit pas déterminé par un hasard capricieux et que, même s’il est faillible, il connaisse clairement les raisons qui peuvent le justifier. Après Macbeth, donné en premier à cause de la simplicité de l’intrigue et de l’ordonnance, qui ne déroute pas trop les habitudes françaises, on essaiera plus tard d’autres pièces shakspeariennes. Les grandes comédies de Molière, quand on pourra leur assurer une interprétation convenable, auront aussi leur tour. Je ne crois guère possible de faire un emprunt à notre tragédie classique ; car c’est une forme d’art aristocratique qui me semble peu convenir à l’auditoire d’un Théâtre du Peuple, et des acteurs populaires ne sont point faits pour parler la langue que Corneille et Racine prêtent à leurs héros. — Pour les œuvres originales qui doivent constituer le fond du répertoire, j’ai indiqué à quelle tendance elles devaient de plus en plus obéir ; on n’y omettrait pas ces grandes fresques, tirées de l’histoire, dont M. Romain Rolland a essayé de formuler l’esthétique et de donner l’exemple. Je ne puis que souhaiter, en concluant, que le temps et la force me soient accordés de réaliser quelques-uns des projets auxquels cette tentative reste ouverte, pour répondre à la confiance de tous ceux qui l’ont saluée de leurs vœux et soutenue de leur intérêt.


MAURICE POTTECHER.