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Mais le darwinisme ne consistait pas seulement dans l’affirmation du transformisme, puisque celui-ci avait été affirmé déjà avant Darwin. Le transformisme a son origine certaine dans l’application aux sciences naturelles de l’idée de « continuité » introduite dans la science par les mathématiciens du xviiie siècle. On s’explique ainsi le chemin et les détours qu’a suivis cette idée. Elle a passé des mathématiciens à Buffon, qui était originairement un géomètre et qui était entré à l’Académie des Sciences en cette qualité : lui-même l’a transmise à Lamarck qui était l’un de ses familiers, et, par-là, à Geoffroy Saint-Hilaire. Quoi qu’il en soit, ce qui appartient en propre à l’illustre savant anglais, c’est l’explication du mécanisme par lequel se réaliserait, selon lui, la transformation des espèces les unes dans les autres, c’est-à-dire la continuité des formes vivantes. Ce mécanisme, c’est la sélection naturelle.

Or, il se trouve que, si Darwin a réussi à faire triompher l’idée de la continuité par génération des formes vivantes, c’est-à-dire le transformisme, il a beaucoup moins réussi en ce qui concerne le moyen qu’il proposait ; pour mieux dire, il a échoué. Peu nombreux sont les naturalistes qui, aujourd’hui, attribuent à la sélection naturelle un rôle quelconque dans la filiation des espèces. Ce n’est point de cette façon, ainsi que l’a fait remarquer Herbert Spencer, que peuvent s’acquérir des caractères réellement spécifiques.

D’ailleurs, une fois acquis, ils ne pourraient sans doute pas se fixer par hérédité. Il y a une dizaine d’années que l’on ne croit plus à l’hérédité fixe des caractères acquis par un être vivant au cours de son existence ; ou, du moins, depuis quelque dix ans, cette notion, jusque-là admise sans conteste, a été battue en brèche et niée par des naturalistes de grande valeur, comme Weismann, Pflüger, Naegeli, Strassburger, Kölliker, His, Ray-Lankester, Brooks, Meynert, van Bemmelen et d’autres.

Un savant hollandais, Hugo de Vries, qui jouit d’une réputation universelle parmi les botanistes de notre temps, vient de donner le dernier coup à la théorie, déjà fort ébranlée, de la sélection naturelle, et il a proposé, à sa place, une autre hypothèse qu’il appelle « théorie de la mutation. » Le nom est assez peu significatif en lui-même, et il a besoin d’être expliqué. Il le sera dans un moment. Toujours est-il que cette doctrine est fondée sur des observations et des expériences qui, par la sagacité, la longue patience, le souci critique de l’auteur, méritent d’être rapprochées des admirables observations de Darwin. D’autre part, elle a rencontré auprès de beaucoup de naturalistes un