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tition cumulative de certaines petites variations serait capable, selon lui, de réaliser un plus grand changement. Il suffirait, pour cela, qu’elles se produisissent toujours dans la même direction, pendant une longue suite de générations. Les éleveurs réalisent cette condition en essayant de reproduire et de maintenir les conditions de la transformation originelle et en accouplant les individus qui la présentent. C’est là « la sélection artificielle ; » elle est un exercice judicieux et méthodique des deux propriétés d’hérédité et de variation, pratiqué en vue de l’intérêt et de l’avantage de l’homme.

La supposition de Darwin équivaut à admettre que la Nature, personnifiée, agit comme l’homme, avec esprit de suite et méthode, par la « sélection naturelle, » cette fois dans l’intérêt de l’espèce et pour son avantage. — Des variations légères, apparaissant sous des influences diverses, par exemple d’un changement dans le milieu ambiant, constitueront un avantage pour les individus, si elles les adaptent mieux à ces circonstances nouvelles. Les individus avantagés auront plus de chance de survivre : ce sont ceux-là qui s’apparieront et qui, par hérédité, conserveront la particularité profitable, la fixeront, l’accumuleront jusqu’à la constitution d’une race, d’une variété, enfin d’une espèce nouvelle. C’est ce jeu automatique de la meilleure adaptation favorisant certains individus, leur permettant de survivre et de se reproduire, qui aurait ici, dans la sélection naturelle, le même rôle providentiel que l’éleveur jouait tout à l’heure dans la sélection artificielle. C’est la meilleure adaptation qui désigne et choisit la variation utile : c’est elle qui favorise les individus qui en sont porteurs : c’est elle, enfin, qui infériorise les autres dans cette concurrence directe ou indirecte qui existe entre les animaux et entre les plantes, dans cette sorte de lutte pour l’existence, dont déjà A. De Candolle et Lyell avaient aperçu l’importance, et dont le résultat est la disparition de l’espèce vaincue et la consolidation du triomphe de l’espèce nouvelle.

On le voit, la sélection naturelle n’est pas seulement une hypothèse, c’est un enchaînement de trois hypothèses. Si l’on désarticule cette chaîne, anneau par anneau, on peut montrer qu’aucun d’eux ne résiste à l’épreuve. — La première hypothèse est celle de l’avantage que donne à l’animal, dans la concurrence vitale, la possession d’une variation faible adaptative. — La seconde est celle de la conservation, par génération, de ce caractère acquis. — La troisième, c’est la marche, dirigée toujours dans le même sens, de ces variations profi-