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de la mutation, c’est l’existence dans certains genres d’animaux ou de plantes d’un grand nombre d’espèces peu différentes anatomiquement les unes des autres. Les botanistes savent que la plupart des espèces linnéennes sont des groupemens de formes vivantes, constantes, héréditaires, le plus souvent infertiles par croisement, c’est-à-dire spécifiquement distinctes. Et cependant elles diffèrent si peu par l’aspect que bien des naturalistes les méconnaissent ou les confondent. Les choses se passent comme si, à un moment donné, dans une crise de mutation, l’espèce souche s’était résolue en une multitude d’espèces secondaires qui auraient persisté. C’est ainsi que le groupe des roses contient plus de cent espèces sauvages tellement semblables que les plus fins connaisseurs s’y trompent. Les ronces, les saules, les gentianes des Alpes sont dans le même cas ; de même les pensées et les hélianthes. Dans le règne animal, beaucoup de genres d’insectes se comportent de la même façon.

Mais ce ne sont là que de simples concordances. H. De Vries a fait mieux que de les signaler : il a cherché des preuves directes de son hypothèse. La meilleure consisterait à saisir sur le fait une plante qui serait présentement dans sa période de mutation et qui donnerait naissance par semis à une multitude de plantes filles brusquement apparues avec des caractères d’espèces nouvelles. On aperçoit facilement les principes qui ont guidé sa recherche. Il fallait s’adresser aux genres de plantes sauvages qui renferment beaucoup d’espèces affines. À la vérité, Jordan a montré que la plupart des espèces sauvages de l’Europe actuelle sont immuables spécifiquement. Mais il est possible qu’elles ne le soient pas toutes et que quelques-unes soient actuellement dans une crise de mutation. On devait avoir plus de chances de les trouver parmi les espèces présentant cette multiplicité de sous-espèces, qui est un signe de plasticité et une présomption de mutation. H. De Vries s’adressa donc à une centaine de plantes satisfaisant à cette condition, centaurées, asters, cynoglosses, carottes, etc. — Il choisissait les graines de celles qui se signalaient par quelque particularité ou déviation, comme la fissuration des feuilles, la ramification des épis, etc. Il faisait en sorte que la plante fût séquestrée dès que la particularité apparaissait et avant qu’elle fleurit. Pour éviter l’hybridation, il enveloppait les boutons floraux de sacs de parchemin transparens et fertilisait la fleur avec son propre pollen. — Le plus grand nombre de ces tentatives échoua. Une seule réussit pleinement, celle qui porta sur l’Onagre de Lamarck, l’Œnothera Lamarckiana.

On connaît cette plante, l’onagre biennal, ou herbe aux ânes, qui a