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Aussi a-t-on éprouvé quelque surprise en voyant des, hommes qui n’avaient pas reculé devant des mesures infiniment plus draconiennes reculer devant celle-là et déclarer qu’ils ne l’admettraient jamais. Nous n’en citerons qu’un, M. Buisson. Il était président de la Commission des congrégations, et a donné sa démission pour combattre la mesure plus librement. Bravo ! avons-nous dit : voilà un homme qui sait ce qu’il veut, phénomène d’autant plus remarquable qu’il l’avait peu su jusqu’alors, et qu’il avait donné à ceux qui suivent d’une manière attentive les évolutions de son esprit le spectacle d’hésitations et de contradictions continuelles. Voir M. Buisson enfin fixé était une chose si rare qu’on en a joui vivement, mais non pas longtemps. M. Buisson s’est réconcilié bien vite avec la Commission en obtenant d’elle qu’elle insérât dans son texte un membre de phrase, qui, placé là, n’a aucune espèce de sens, ce qui montre qu’il s’est familiarisé très vite avec les finesses du parlementarisme et avec les apaisemens de conscience qu’on peut y trouver à bon marché. Le texte de la Commission portait que, pendant l’intervalle de trois ans à partir de la fermeture d’un établissement congréganiste, tout établissement de même nature qui s’ouvrirait dans la commune ou dans les communes limitrophes serait réputé établissement congréganiste, si les fonction de direction ou d’enseignement étaient exercées par un ou plusieurs membres de l’établissement fermé. Après les mots ! « pendant le délai de trois ans à partir de la fermeture d’un établissement congréganiste, » M. Buisson a obtenu qu’on ajoutât ceux-ci : « et sauf la preuve contraire. » La preuve contraire de quoi ? On n’en sait rien, on ne peut que se livrer à cet égard à des conjectures. M. Buisson a-t-il voulu dire que l’ancien congréganiste serait obligé de faire la preuve de la sincérité de sa sécularisation ? Nous l’avons cru d’abord, mais, la loi ayant pour objet spécial d’interdire l’enseignement pendant un certain temps et dans certaines communes à tout congréganiste sécularisé, il semble bien qu’elle lui impose, dans tous les cas, ce changement de domicile comme la preuve naturelle et la plus convaincante de sa sincérité. Quand un ancien congréganiste aura changé de commune, il pourra se dire en règle avec la loi : dans le cas contraire, il ne le sera pas, et on ne comprend pas de quoi il pourra fournir une preuve devant les tribunaux. Tout cela est d’une complication et d’une obscurité inextricables, mais a suffi pour contenter M. Buisson, qui est redevenu aussitôt le plus fougueux défenseur de la loi. Il a même poussé la fougue jusqu’à la calomnie, en disant que les congrégations enseignaient aux enfans à mentir. La droite et le centre ont protesté