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Nous n’avons pu qu’annoncer, il y a quinze jours, le crime effroyable qui venait de rendre vacant et d’ensanglanter le trône de Serbie. Depuis, des détails nombreux et probablement encore incomplets ont été donnés sur la sombre tragédie de Belgrade, et ils ont été si atroces que l’horreur ressentie n’a fait qu’augmenter. Alexandre et Draga ont été assassinés dans des conditions qui excluent pour les meurtriers toute admission de circonstances atténuantes. Au reste, ils n’en cherchent pas, et ce qu’il y a de plus déconcertant peut-être que le crime lui-même, c’est l’espèce de candeur indécente avec laquelle ses auteurs en ont pris au premier moment la responsabilité. Il semblait qu’ils n’eussent fait rien que de naturel, et ce que tout le monde aurait fait comme eux dans des circonstances analogues. La seule excuse, ou plutôt la seule explication qu’ils aient donnée est que, voulant se débarrasser d’une dynastie devenue impopulaire, ils n’avaient pas d’autre moyen d’y réussir. L’armée seule pouvait faire le coup ; donc elle devait le faire. Les officiers qui s’en sont chargés ont été présentés comme de grands citoyens et des héros. Le premier acte de la Skoupchtina, lorsqu’elle a été réunie, a été de remercier l’armée ; la première parole qu’a prononcée le nouveau roi a été pour la féliciter de sa fidélité. Une conspiration de caserne, aboutissant à un lâche attentat accompli la nuit et à une boucherie sauvage, a été présentée comme un acte libérateur. Cela étonne et épouvante. C’est un cauchemar dont il est impossible de se délivrer. Puis une réflexion s’impose à l’esprit, à savoir que nous avons tort sans doute, nous autres Occidentaux, de juger des affaires orientales avec nos idées et nos sentimens d’hommes civilisés. Nous avons affaire à des gens qui se massacrent traditionnellement les uns les autres depuis un grand nombre de générations. A Belgrade, ce sont deux familles ; ailleurs, ce sont des populations de races différentes. Les Turcs ont massacré plus que les autres, parce qu’ils sont les plus forts : il n’est pas prouvé que les autres ne massacreraient pas autant qu’eux s’ils jouissaient du même avantage. Le contraire paraît même probable. Les Serbes sont des chrétiens : on vient de voir ce qu’ils sont capables de faire avec une parfaite quiétude de conscience. L’imagination voudrait se détourner de ce spectacle, mais il faut bien que la pensée s’y reporte, puisque les événemens de Belgrade peuvent avoir un jour ou l’autre de l’influence sur la situation des Balkans.

Aussitôt élu, Pierre Karageorgevitch a parlé en roi : nous voulons dire qu’il a mis l’épithète de « royal » au bout de toutes ses phrases. Il a assuré la Providence de sa gratitude royale, comme aussi son