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dans notre race, faite de loyauté et de franchise, quelque respect du droit, nous assisterons avant peu à un effort pour introduire dans nos institutions des garanties. Déjà, de divers côtés, des propositions de lois sont déposées, des études entreprises, des livres publiés qui révèlent des préoccupations auxquelles nous n’étions pas habitués[1].

Mais, s’il faut aider, par tous les moyens qu’offrent la parole et la presse, à ce mouvement tout nouveau des esprits, il est également nécessaire de mesurer à quel ennemi nous avons affaire. Ceux qui croient à une réforme aisée, semblable à toutes celles qu’ont vues nos révolutions plus ou moins superficielles, n’ont pas la moindre notion du sens de notre histoire.

Les droits individuels, en France, ont toujours été très faibles. Tout notre développement national, qui présente une suite incomparable, nous montre l’effort de vingt générations voulant assurer l’ordre et l’unité. Pendant sept cents ans, de Hugues Capet à Louis XIV, nous assistons aux manifestations les plus variées d’une même idée poursuivie par l’accord commun du roi et du peuple, l’un et l’autre voulant substituer au fractionnement de tous les pouvoirs leur concentration, l’un et l’autre rêvant l’unité qui aboutira à la monarchie administrative, c’est-à-dire à la constitution de l’État sous sa forme la plus puissante. À cet objet, le Tiers État était prêt à tout sacrifier, même ses droits, tant il était convaincu que, son seul ennemi étant la diversité et l’oppression féodales, le roi, résolu à contenir la noblesse, serait toujours son allié. Tandis qu’en Angleterre, les barons, soutenus par le peuple, montaient à l’assaut de la royauté, limitaient ses pouvoirs et devenaient populaires parce qu’ils défendaient la liberté de chacun qui formait les libertés de tous, en France, l’idée générale absorbait tout ; nul souci de l’individu et de ses droits : du XIIIe au XIVe siècle, dans la crise de notre formation moderne, la création d’un pouvoir fort, mettant fin à toutes les diversités locales, est une idée fixe. La poursuite des

  1. Il faut consulter les lectures à l’Académie des Sciences morales et politiques de M. Morizot-Thibault, substitut au Tribunal de la Seine, sur l’Habeas corpus français (Comptes rendus de 1903) et l’étude qu’il a consacrée à l’Action du pouvoir sur les magistrats (in-8°, Maresq, 1902). Voyez également : la Liberté individuelle, par M. Henri Coulon, avocat à la Cour d’appel (in-8°, Marchal, 1901). Le projet de loi présenté par M. De Ramel et rapporté par M. Cornudet (de Seine-et-Oise) mériterait toute l’attention du législateur, s’il songeait moins aux passions, et plus aux véritables intérêts du pays (séance du 12 juin 1901).