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et leur langage. Ils usent et abusent des lois, et, à ceux qui le leur reprochent, ils trouvent d’ordinaire quelque plaisir à adresser des récriminations personnelles. Il est si commode, quand on ne sait que répondre, de répliquer : « Vous en avez fait autant ! » et notre histoire contemporaine se répète en de telles alternatives qu’il faudrait être bien pauvre de souvenirs pour n’avoir pas à son service quelque citation qui ferme la bouche. Ceux pourtant qui se plairaient à ce jeu pourraient éprouver quelque déconvenue. Le parti libéral n’a jamais varié : il a toujours été l’adversaire de l’arbitraire administratif et il a réclamé en tout temps la suppression de l’article 10. « Mais il a gouverné, réplique-t-on ; il était maître ; il pouvait agir et qu’a-t-il fait ? » Nous ne répondrons qu’un mot : il en a proposé l’abolition.

Au ministère de la Justice, à trois reprises, la République a eu l’honneur de voir entrer un jurisconsulte qui était un de nos premiers orateurs, et, ce qui est plus rare, un grand caractère. Pendant cinq années, M. Dufaure a eu la responsabilité de la magistrature. On sait à quelle hauteur il l’a maintenue, en la respectant. Il estimait que plus le régime d’une nation était démocratique et plus l’indépendance du magistrat était nécessaire ; il voyait, dans l’avenir, le juge planant au-dessus des partis pour contenir leurs excès, réprimer les abus de pouvoir et, en toutes les querelles, assurer au droit le dernier mot. De nos lois, il était résolu à chasser l’arbitraire ; notre procédure criminelle l’alarmait, il en avait vu de près les défauts ; il voulait les corriger. À plusieurs reprises, il pensa y mettre la main : l’instabilité ministérielle semblait rendre la tâche impossible. En 1878, le calme était complet ; il assembla autour de lui une commission qu’il chargea de préparer une révision du Code d’Instruction criminelle. Dès le début, l’opinion du garde des Sceaux sur l’article 10 était faite. La commission donna pleine satisfaction aux vues de M. Dufaure en retirant aux préfets les pouvoirs d’officiers de police judiciaire.

Voilà donc un quart de siècle qu’une réunion de jurisconsultes, de magistrats de la Cour de cassation, convoqués par le plus illustre garde des Sceaux de la République, a condamné une loi qui constitue une menace permanente à nos libertés, et ce texte de loi est intact ; il est à sa place dans nos Codes ; et, — ce qui est plus grave encore, — il s’est formé tout un parti prêt à